Au plus fort de la crise sans précédent qui dure depuis plusieurs mois entre la France et l’Algérie, la pression ne retombe pas. Marquée par plusieurs épisodes qui l’ont mise à mal, la relation entre les deux pays prend de plus en plus la tournure d’un bras de fer à l’issue fatale.
Car le régime d’Alger n’a eu de cesse de multiplier les actes de provocation et d’ingérence à l’égard de la France. L’arrestation de Boualem Sansal, écrivain et essayiste franco-algérien, en novembre 2024 et sa condamnation à cinq ans de prison, a constitué le premier acte de cette mauvaise pièce. S’en sont suivis le refus persistant d’accepter sur son sol ses ressortissants frappés d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), l’instrumentalisation de la diaspora algérienne via des influenceurs à la solde du pouvoir algérien relayant des discours de haine et d’appels à la violence... jusqu’au kidnapping sur le sol français, du 29 avril au 1er mai, par des agents algériens, du Youtubeur et opposant au régime d’Alger, Amir DZ.
Un dernier acte qui signe le début d’une nouvelle escalade, alors qu’un réchauffement était annoncé avec la visite à Alger, le 6 avril, du ministre de l’Europe et Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot. Car après l’arrestation d’un agent consulaire impliqué dans l’enlèvement de Amir DZ, de son vrai nom Amir Boukhors, le régime d’Alger a cette fois-ci répliqué avec l’expulsion, le 14 avril, de douze agents diplomatiques français. La réponse française ne s’est pas fait attendre et dès le lendemain, Paris a appliqué la même sentence à douze agents algériens. Ce à quoi le palais de la Mouradia a répondu, le 11 mai, avec l’expulsion de quinze autres fonctionnaires français.
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Autant d’agressions auxquelles la France a décidé de répondre de manière immédiate, ferme et proportionnée, comme l’avait annoncé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, avec pour dernière mesure, prise par le Quai d’Orsay, le 16 mai dernier, la suspension d’un accord de 2007 permettant aux titulaires de passeports diplomatiques de circuler librement entre les deux pays, sans visa.
Mais, dans l’expectative d’une nouvelle escalade du régime d’Alger, la France a décidé d’afficher la couleur en brandissant par avance le sceptre d’une nouvelle mesure, autrement plus douloureuse pour les caciques du régime algérien.
La publication d’une liste de vingt noms brandie comme première menace
Ainsi, ce que redoutent sans doute le plus les dignitaires du régime d’Alger est exactement ce qui risque fort de se produire, annonce en exclusivité le journal L’Express. En effet, d’après les informations rapportées par ce média, la piste évoquée en janvier dernier par Bruno Retailleau, de geler les avoirs en France des officiels algériens serait «sérieusement explorée».
En quoi consiste cette mesure exactement et qui vise-t-elle? Selon une source gouvernementale citée par L’Express, une liste d’une «vingtaine de dignitaires» a d’ores et déjà été dressée. Tous occupent de hauts postes administratifs, sécuritaires et politiques en Algérie, et ont aussi pour point commun de posséder des propriétés ou des intérêts financiers en France. Plus précisément, poursuit-on, seraient visés des «dignitaires placés dans la chaîne de commandement du renseignement algérien, mis en cause dans l’affaire Amir Boukhors, ou bien dans la chaîne de décision liée aux refus de laissez-passer consulaires».
Un cas de figure qui est très loin d’être une exception car le nombre de dignitaires algériens qui se trouvent dans cette situation est bien plus important. En effet, poursuit la source gouvernementale consultée, «on estime que 801 membres de la nomenklatura algérienne ont des intérêts financiers en France et viennent en France régulièrement. Et ce, sans compter les militaires».
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Si cette mesure avait été pensée pour être appliquée au cas où Alger refuserait de reprendre ses ressortissants frappés d’un OQTF, il se pourrait désormais qu’elle soit mise en œuvre dans d’autres cas de figure. En effet, explique-t-on, «l’idée au sein du gouvernement est d’utiliser cette liste de vingt dignitaires comme une arme de dernier recours dans les négociations diplomatiques entre les deux pays».
Ainsi, est-il annoncé en guise de première mise en garde, Paris envisage de publier cette liste de dignitaires si Alger décide de nouvelles mesures hostiles.
Pourquoi l’Algérie ne pourra pas se cacher derrière le règlement de l’Union européenne
Face à une telle mesure, l’Algérie pourrait se retrouver acculée, sans aucun moyen de contester cette décision. «Cela se ferait sur le modèle des oligarques russes», explique la source gouvernementale, mais à la différence près que, si le gel des avoirs de ressortissants russes en France est encadré par des règlements de l’Union européenne depuis 2014, ce n’est pas le cas de l’Algérie qui tombe, quant à elle, sous le coup du droit français. Celui-ci prévoit en effet, depuis 2006, que le ministre de l’Economie et le ministre de l’Intérieur peuvent, par un décret conjoint, geler les avoirs de personnes liées à une entreprise terroriste.
Or, s’il s’avérait que le terrorisme ne pouvait servir de motif à une telle mesure, la France a une autre carte dans sa manche: les intérêts fondamentaux de la Nation. Un motif qui tombe à pic puisqu’il fait l’objet d’une nouvelle disposition du Code monétaire et financier français, en l’occurrence, l’article L562-1, entré en vigueur le 25 juillet 2024. «Cette mesure, votée dans le cadre de la loi contre les ingérences étrangères, prévoit que les ministres de l’Économie et de l’Intérieur peuvent également geler les avoirs des personnes qui commettent des actes d’ingérence», explique le journal.
Et pour enfoncer un peu plus le clou, le terme «ingérence» est désormais défini par la loi française comme un «agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet (…) de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation». De quoi mettre dans l’embarras le régime d’Alger, passé maître dans la manipulation de sa diaspora en France, comme l’ont révélé de nombreuses enquêtes, que ce soit en instrumentalisant la mort du jeune Nahel en 2023 pour régler ses comptes avec la France ou en faisant taire ses opposants par des campagnes de haine orchestrées sur les réseaux sociaux en France par ses influenceurs; ou encore en faisant de la Grande mosquée de Paris un site d’influence au service du régime.
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C’est donc en se basant sur cette récente réforme que le gouvernement français pourrait geler le patrimoine de dignitaires algériens en France, explique L’Express en se basant sur l’avis de maître Renaud de l’Aigle, avocat spécialisé dans les affaires de gel des avoirs.
L’autre menace d’une mesure en deux temps
Mais la publication de cette liste de vingt noms n’est que l’amorce de la vraie sanction, bien plus inquiétante pour les membres de la Nomenklatura. En effet, explique L’Express, si elle venait à être mise en œuvre, «ces dignitaires ne pourraient plus se rendre dans leurs propriétés ou leurs autres biens, ni utiliser leurs comptes bancaires, pour six mois renouvelables».
Et pour justifier une telle mesure administrative, «le gouvernement devrait alors démontrer que les personnes sanctionnées ont personnellement et intentionnellement porté atteinte aux intérêts français». De quoi faire trembler le régime d’Alger jusqu’au plus haut sommet de l’État. D’autant plus que cette annonce intervient quelques jours après la publication dans Le Journal du Dimanche, le 10 mai, d’une enquête exclusive basée sur des notes confidentielles et rapports circonstanciés, laquelle démontre l’implication directe du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, dans les barbouzeries algériennes commises en France, en Espagne et dans son propre pays, avec pour cible, les opposants au régime et tous ceux qui contestent son autorité.