En l’espace de trois ans, Jazzablanca a opéré un virage décisif en s’installant à Anfa Park et en adoptant un nouveau format. Pensée comme une évolution naturelle, cette transformation s’inscrit dans une dynamique de croissance maîtrisée, portée par l’envie d’offrir au public une expérience musicale intimiste et puissante. Entre les deux week-ends phares du festival et la création de la scène 21 dédiée au jazz marocain et africain, l’événement redonne du souffle à son identité originelle tout en s’ouvrant à des sonorités nouvelles, du funk à la pop en passant par la soul.
Avec une fréquentation multipliée par douze depuis ses débuts et un budget exponentiel – multiplié par quinze depuis sa création–, Jazzablanca s’impose aujourd’hui comme un acteur majeur de la scène culturelle marocaine. Un pari audacieux qui repose sur une stratégie claire: une programmation exigeante, une proximité renforcée avec le public, et un modèle économique construit autour de la billetterie et du soutien actif des partenaires privés. À deux mois de l’édition 2025, le succès est déjà palpable: les têtes d’affiche comme Black Eyed Peas font salle comble, promettant un festival à la hauteur de toutes les attentes. C’est ce qu’explique Moulay Ahmed Alami dans cet entretien pour Le360.
Le360. Depuis trois ans, Jazzablanca s’est installé à Anfa Park avec un nouveau format. Qu’est-ce qui a motivé cette évolution?
Moulay Ahmed Alami: L’évolution de Jazzablanca s’est faite naturellement, étape par étape. Nous étions sur un cycle de sept ans de transformation. Cette année, nous avons décidé d’accélérer le changement pour plusieurs raisons. En 2023, nous avons organisé cinq festivals. Cela nous a permis de gagner en visibilité et en crédibilité en tant qu’organisateurs, mais j’avais le sentiment que Jazzablanca n’allait pas encore au bout de son potentiel.
Le festival affichait complet les trois soirs, et beaucoup de gens regrettaient qu’il ne dure pas plus longtemps. En parallèle, nous avions d’autres événements comme Casa Anfa Village, Casa Latina, Amazigh à Taghazout ou encore Tanjazz. À un moment, nos équipes étaient épuisées. Nous avons alors décidé de revenir à l’essentiel.
Jazzablanca est le festival dans lequel nous avons le plus investi ces dernières années. Il occupe une place importante dans le paysage culturel marocain, et certaines limites nous frustraient. Entre octobre et novembre, nous avons longuement réfléchi à comment faire vivre davantage l’expérience Jazzablanca aux Casablancais, notamment à Anfa Park, qui offre une ambiance unique.
«Quand j’ai repris Jazzablanca, on comptait à peine 1.000 personnes par jour. Aujourd’hui, on vise 12.000. J’espère qu’on y arrivera chaque soir»
— Moulay Ahmed Alami, Directeur de Jazzablanca
C’est ainsi qu’est né le concept des 10 jours, avec deux temps forts principaux: du 3 au 5 juillet, puis du 10 au 12 juillet, autour desquels gravite le «village». Finalement, c’est comme si on faisait deux festivals en un. Entre les deux, il manquait quelque chose: l’ADN jazz du festival, qui se diluait un peu. Nous avons donc décidé de remettre en avant la Scène 21, dédiée au jazz marocain, africain et contemporain. Ce n’est pas du jazz classique, mais on y retrouve une vraie qualité d’écoute, dans une atmosphère intimiste, entourée de végétation. Les gens sont assis sur la pelouse, et l’expérience est très paisible.
Quand j’ai repris Jazzablanca, on comptait à peine 1.000 personnes par jour. Aujourd’hui, on vise 12.000. J’espère qu’on y arrivera chaque soir. On a tout fait pour que la programmation plaise, qu’elle reflète notre ADN: une musique éclectique mêlant jazz, soul, pop…
Quels seront les temps forts de cette édition 2025?
Nous avons misé sur deux types de headliners. Lors de nos trois premières années à Anfa Park, nous avons franchi des caps avec des artistes comme Ben Harper (2022), Mika (2023) ou James Blunt (2024). Ce ne sont pas des artistes jazz à proprement parler, mais ils ont une incroyable présence scénique et des performances live exceptionnelles.
«À nos débuts, Jazzablanca coûtait environ 4 millions de dirhams. Aujourd’hui, ce budget a été multiplié par 15. Et pourtant, les prix des billets n’ont pas suivi cette courbe»
— Moulay Ahmed Alami, directeur de Jazzablanca
On continue à parler de Mika aujourd’hui, et de James Blunt, UB40 ou encore Kaleo ont aussi marqué les esprits. Nous avons aussi eu de belles fusions, comme Hind Ennaira avec Candy Dulfer. Contre toute attente, cela fonctionne.
Cette année, nous voulions absolument Black Eyed Peas. Nous leur avons fait une première offre en mars, et la signature a eu lieu en décembre. C’est un pari musical, une grande ouverture stylistique, mais c’est un groupe qui peut clore le festival en feu d’artifice. En miroir, nous avons aussi Macklemore, une autre tête d’affiche très identifiée, à la stature internationale. Ces deux artistes qui remplissent habituellement des stades seront à Jazzablanca devant «seulement» 10.000 personnes, ce qui rend leur passage d’autant plus unique.
Autres artistes marquants: Kool and The Gang, Seal, Hindi Zahra, Ibrahim Maalouf avec un concert festif en fanfare, Parcels (qui ont cartonné à Coachella)… Et bien sûr, la scène 21 avec toute une nouvelle vague jazz et pop.
Lire aussi : Musique: le festival Jazzablanca 2025 dévoile son line-up complet
Quel modèle économique pour cette nouvelle version de Jazzablanca?
Il n’y a pas de recette miracle. On applique un modèle économique déjà éprouvé sur d’autres festivals, avec des résultats variables. Notre priorité reste de proposer des tarifs de billetterie raisonnables, malgré la flambée des cachets artistiques post-Covid.
90% de nos partenaires sont privés, l’ONMT étant notre seul soutien public. On leur demande un accompagnement financier conséquent, car c’est ce qui nous permet d’aller plus loin. C’est un équilibre subtil.
Quel est le budget global de cette édition?
Il est très conséquent. À nos débuts, Jazzablanca coûtait environ 4 millions de dirhams. Aujourd’hui, ce budget a été multiplié par 15. Et pourtant, les prix des billets n’ont pas suivi cette courbe: ils débutent à 200 dirhams en prévente et peuvent monter jusqu’à 800–900 dirhams à la dernière minute.
C’est pour cela qu’on encourage les gens à réserver tôt: cela nous donne une trésorerie précieuse pour régler les artistes, qui exigent d’être payés intégralement entre décembre et juin, avant même leur venue.
Qui achète les billets pour Jazzablanca?
Il y a deux publics. D’un côté, le VIP, où les partenaires réservent quasiment tous les espaces. De l’autre, le grand public, qui achète la majorité des billets en ligne.
Le marché culturel marocain s’élargit grâce au digital, ce qui facilite l’accès aux billets. À l’époque, on les vendait dans des bureaux de tabac ou des librairies!
Quels concerts affichent déjà «complet» à deux mois du lancement?
Les deux plus gros cartons sont Black Eyed Peas et Macklemore. Seal et Parcels avancent bien aussi. Certains concerts seront probablement sold-out d’ici deux ou trois semaines.
Jazzablanca a aussi innové avec le concept des festivals-villages. L’écosystème autour est-il aujourd’hui bien structuré?
L’essor de la billetterie au Maroc doit beaucoup à des pionniers comme Hakim Lahlou, Redouane Bouzid et Hammouda Laraki, qui ont lancé le modèle il y a plus de 20 ans avec des concerts mythiques comme Ray Charles ou Santana. En parallèle, les festivals gratuits se sont développés à la fin des années 90, comme Gnaoua…