Mawazine, Jazzablanca, le Festival gnaoua et musiques du monde ou encore le Festival des musiques sacrées de Fès… autant de festivals pionniers qui ont traversé les années sans perdre de leur éclat ni de leur prestige.
À ces grands rendez-vous musicaux qui rythment l’année culturelle marocaine s’ajoutent également des nouveaux venus dans le paysage musical local, les festivals électro. Une catégorie un peu à part qui cible les clubbeurs marocains principalement, dont le nombre à travers le Maroc avoisine les 5.000 personnes, et au sein de laquelle se distinguent l’Oasis Festival, qui se tenait à Marrakech en septembre mais n’existe plus, et Le Moga Festival, qu’accueille la ville d’Essaouira.
Ces deux rendez-vous à succès qui ont positionné le Maroc sur la scène électro en tant que nouvelle destination pour les DJ internationaux ont bientôt été rejoints par d’autres festivals. Une bonne nouvelle? Assurément, si ce n’étaient les annulations de dernière minute qui plombent littéralement la réputation du Maroc à l’étranger, et la crédibilité des autres festivals qui peinent à convaincre les artistes internationaux de faire le déplacement. Autre point noir qui tend à obscurcir l’horizon de la musique électro au Maroc, les cafouillages dans l’organisation liés principalement à la mauvaise gestion des tickets et qui impacte, de facto, l’accueil des festivaliers. Les images d’une quasi-émeute aux portes du festival Umbramour, à Marrakech, ont fait le tour de la toile et en ont refroidi plus d’un.
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Comment en est-on arrivés là? Pour comprendre le problème et les enjeux qui en découlent, il faut se rendre dans les coulisses, là où tout se joue. Exaspéré par ce phénomène qui s’aggrave chaque année, un producteur marocain qui œuvre dans le domaine des festivals de longue date explique pour Le360 les raisons d’un problème qui pourrait être solutionné si le ministère de la Culture décide de prendre les choses en main.
Un métier jeune, fait par des jeunes, qui nécessite un encadrement
Premier problème soulevé par ce producteur qui a souhaité gardé l’anonymat, le jeune âge et le manque d’expérience des organisateurs de ce type d’évènements, qui en dépit de leur bonne foi et de leur envie réelle de bien faire, sont dotés de moyens financiers importants qui leur laissent à penser qu’un festival peut s’organiser facilement. Or, cela ne suffit pas. Booker et payer les artistes est une chose, organiser un festival censé réunir plusieurs milliers de personnes en veillant à respecter un cahier des charges en est une autre. Et c’est bien souvent sur la marche de cette seconde étape, dont les enjeux sont énormes en ce qu’ils touchent à la sécurité des festivaliers et nécessitent des autorisations délivrées par les autorités, que trébuchent des organisateurs novices.
«Il faudrait, comme en Europe, délivrer une licence de producteur de spectacles aux personnes qui souhaitent organiser des festivals», conseille ainsi ce producteur en suggérant par ailleurs de créer une commission constituée d’experts qui accorderaient, ou pas, cette autorisation. Une étape nécessaire et qui interviendrait avant même que les autorités ne soient sollicitées pour une autorisation de production d’un spectacle.
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«Outre l’accord d’une licence, il faudrait aussi mettre en place un cahier des charges précis à respecter», suggère également notre source, en énumérant la longue liste d’infractions ou de maladresses qu’il repère régulièrement dans ce type de festivals. Mauvaise gestion de la billetterie et de la porte, capacité d’accueil dépassée, rareté des agents de sécurité, mauvaise communication au sein de l’équipe sur place, absence d’extincteurs, absence de fontaines à eau, car on leur préfère les bouteilles d’eau vendues à prix d’or, absence sur place d’ambulances et de médecins, manque de transports quand le festival se déroule en pleine nature, manque de barrières fournies par la préfecture… sont autant de cas de figure qui fragilisent le bon déroulement d’un festival et qui pourraient être réglés une bonne fois pour toutes si un cahier des charges officiel devait être suivi à la lettre.
Derrière un bon nombre d’annulations, l’autorisation de dépassement
Mais ce ne sont pas là les raisons qui poussent un festival à être annulé. Si plusieurs festivals ont été annulés l’année dernière à la dernière minute, à l’instar du Agafay Storm et de Sarab Agafay, et que l’année 2025 ne s’annonce pas meilleure avec l’annulation du festival Caprices, c’est souvent en raison de l’absence d’autorisation de dépassement délivrée par les autorités. Entendez par là une autorisation à servir de l’alcool au-delà de la limite légale fixée à 2 heures du matin. Or, explique ce producteur, «un festival électro dure jusqu’à 5 à 6 heures du matin». Le problème qui se pose et qui peut causer l’annulation des festivals est la réception, la veille seulement de la tenue de l’évènement, de cette autorisation. Le Hic, souligne notre source, c’est qu’«on ne peut pas monter tout un business plan, investir des millions de dirhams, et devoir attendre la veille pour savoir si on aura ou pas l’autorisation de dépassement. Quand on arrive à ce niveau d’investissements financiers, on ne peut pas se permettre d’être dans le doute. C’est la raison qui va pousser certains organisateurs à investir moyennement dans leur évènement afin de limiter la prise de risque».
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C’est précisément le cas de figure qui s’est déroulé pour le festival Caprices, à Marrakech, qui selon notre source a dû être annulé à la dernière minute alors que les artistes – une quinzaine au total - étaient bookés, payés et déjà arrivés au Maroc, pour défaut d’autorisation de dépassement. Que dire des festivaliers, dans ce genre de cas de figure, qui ont déjà acheté leurs billets, payé leurs billets d’avion, réservé leur chambre d’hôtel… et qui ne seront pas remboursés?
La mauvaise gestion du budget, l’autre fléau qui plombe les festivals électro
L’absence d’autorisation n’est pas la seule raison qui pousse un évènement de ce type à être annulé, poursuit notre source, qui pointe à nouveau du doigt le manque d’expérience d’organisateurs qui s’improvisent en tant que tels et s’en remettent ensuite à des intermédiaires, littéralement des semsaras, qui leur promettent de faciliter leurs démarches administratives moyennant rémunération. «Le problème qui se pose est qu’en établissant leur tableau budgétaire, ils ne tiennent pas compte de cette ligne budgétaire car ils n’en connaissent pas le montant final. Ils déboursent in fine de l’argent non déclaré pour payer ce que leur demande l’intermédiaire afin d’obtenir une autorisation et réduisent leurs dépenses en matière de sécurité par exemple». Il y a pourtant une solution à cela, suggère le producteur: «que les autorités numérisent ces services et les rendent payants». Barrières, présences des forces auxiliaires, des véhicules de police… autant de services que le producteur prend pour exemple, afin d’éviter à des organisateurs, qui viennent souvent de l’étranger et ne savent pas comment procéder au Maroc, de tomber dans ce genre de travers.
L’annulation des festivals électro au Maroc n’est pas un phénomène anodin, poursuit le producteur, en rappelant que c’est l’image du Maroc à l’international qui en souffre. Et de pointer du doigt le fait que le phénomène concerne essentiellement la ville de Marrakech où sont organisés la plupart des festivals électro. Et pour cause, c’est la seule ville du Maroc à être dotée d’infrastructures hôtelières proposant des scènes et pouvant accueillir un grand nombre de festivaliers, exception faite d’Essaouira, où le festival Moga est accueilli au sein du Sofitel et bénéficie du soutien de la ville.
Aujourd’hui, il y a urgence à considérer sérieusement ce problème car pour l’heure, les festivals perdent peu à peu la confiance d’artistes influents et voient les jeunes touristes amateurs de ce type d’évènements bouder la scène électro marocaine, la jugeant trop instable, au profit d’autres destinations qui ont le vent en poupe à l’instar du Mexique.