Quarante-cinq milliards de dirhams, c’est le montant des recettes touristiques comptabilisées à fin mai 2025, en hausse de 7,5% par rapport à la même période en 2024. Un chiffre qui place le Maroc sur la voie d’un nouveau record annuel de 120 milliards de dirhams en 2026, objectif fixé par la feuille de route de la tutelle, comme le rappelle Zoubir Bouhout, consultant en tourisme.
Mais un examen plus détaillé des données sur la décennie écoulée suggère une tendance dissociée: la hausse des volumes ne s’accompagne pas toujours d’une amélioration de la valeur unitaire générée par touriste. «Une situation qui interroge sur la nature et la soutenabilité de la trajectoire actuelle», fait remarquer le consultant.
En une décennie, le secteur a connu une progression notable. «Entre 2015 et 2019, les arrivées touristiques sont passées de 10,18 à 12,93 millions, soit une hausse de 27 %», souligne Zoubir Bouhout. La pandémie de 2020 a cependant marqué un coup d’arrêt brutal, avec une chute à 2,77 millions d’arrivées. Mais dès 2022, la reprise s’est accélérée, atteignant un record en 2024: 17,41 millions de visiteurs, soit une progression de 35% par rapport à 2019.
Évolution des arrivées globales et TES. (Source: Observatoire du tourisme)
Année | Arrivées globales | Arrivées TES |
---|---|---|
2015 | 10.176.762 | 5.151.704 |
2016 | 10.331.731 | 5.103.204 |
2017 | 11.349.344 | 5.864.917 |
2018 | 12.288.708 | 6.679.101 |
2019 | 12.932.734 | 7.043.480 |
2020 | 2.777.802 | 1.407.994 |
2021 | 3.721.702 | 1.284.335 |
2022 | 10.868.163 | 5.064.780 |
2023 | 14.524.727 | 7.149.994 |
2024 | 17.411.949 | 8.797.771 |
Le nombre de touristes étrangers en séjour (TES) a suivi une trajectoire similaire. Passé de 5,15 millions en 2015 à 7,04 millions en 2019, il chute de 80% en 2020, puis repart à la hausse pour atteindre 8,79 millions en 2024 (+25% par rapport à 2019).
Parallèlement, les nuitées TES ont atteint 20,15 millions en 2024, contre 17,41 millions en 2019. Les recettes en devises ont connu une évolution comparable. De 61,1 milliards de dirhams en 2015, elles ont atteint 78,7 milliards en 2019, puis reculé à 34,5 milliards en 2021. La reprise a été rapide: 93,8 milliards en 2022 puis 104,7 milliards en 2023 et 112,5 milliards en 2024, développe l’expert.
Évolution des nuitées TES. (Source: Observatoire du tourisme)
Année | Nuitées TES |
---|---|
2015 | 12.572.411 |
2016 | 12.683.756 |
2017 | 15.036.446 |
2018 | 16.842.922 |
2019 | 17.413.397 |
2020 | 3.479.039 |
2021 | 2.815.220 |
2022 | 11.068.019 |
2023 | 17.053.399 |
2024 | 20.155.348 |
Cette dynamique s’explique par plusieurs leviers, à savoir la multiplication des lignes aériennes directes avec les grandes capitales européennes, la diversification géographique des marchés (Chine, Amérique du Sud, Golfe), la montée en puissance du tourisme interne, et l’amélioration de la visibilité à travers des campagnes ciblées comme «Terre de lumière».
Si les flux et les recettes totales sont en hausse, la rentabilité moyenne par touriste ou par nuitée n’évolue pas dans le même sens.
Évolution des recettes en devises TES. (Source: Observatoire du tourisme)
Année | Recettes en devises TES (MDH) |
---|---|
2015 | 61.149,6 |
2016 | 64.226 |
2017 | 72.126,5 |
2018 | 73.022,3 |
2019 | 78.747,4 |
2020 | 36.449,7 |
2021 | 34.576,1 |
2022 | 93.857 |
2023 | 104.678 |
2024 | 112.536 |
L’indicateur clé en la matière, à savoir la recette moyenne par nuitée, montre une tendance à la baisse depuis 2022, fait remarquer Zoubir Bouhout.
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En 2015, elle s’élevait à 4.863 dirhams. Elle augmente légèrement à 5.063 dirhams en 2016, puis recule à 4.335 dirhams en 2018. La crise sanitaire entraîne un effet de concentration sur une clientèle à fort pouvoir d’achat, ce qui fait mécaniquement bondir cet indicateur à 10.476 dirhams en 2020, puis à 12.281 dirhams en 2021. «Mais avec la reprise des volumes à partir de 2022, la recette par nuitée chute de nouveau: -31% en 2022, -28% en 2023, -9% en 2024. Elle atteint 5.583 dirhams à la fin de cette dernière année, soit un niveau inférieur à celui de 2016», déplore le consultant.
Évolution des recettes par nuitée TES. (Source: Observatoire du tourisme)
Année | Recette par nuitée TES (DHS) |
---|---|
2015 | 4.863,79 |
2016 | 5.063,64 |
2017 | 4.796,78 |
2018 | 4.335,49 |
2019 | 4.522,23 |
2020 | 10.476,94 |
2021 | 12.281,85 |
2022 | 8.480,02 |
2023 | 6.138,25 |
2024 | 5.583,29 |
Cette discordance peut s’expliquer, selon Zoubir Bouhout, «par une augmentation du tourisme interne, une montée en puissance de marchés à moindre pouvoir d’achat, ou un réajustement tarifaire pour rester compétitif. L’augmentation des recettes globales masque donc une érosion relative de la dépense par nuitée».
La forte hausse des volumes (TES, nuitées) soutient la croissance globale des recettes, mais les dépenses individuelles par touriste ou par nuitée ne suivent pas la même tendance. La croissance du tourisme marocain semble davantage portée par l’augmentation du nombre de visiteurs que par la valeur ajoutée générée par chacun d’eux, fait-il remarquer.
Zoubir Bouhout note toutefois que «le Maroc a su capter une part importante de la reprise mondiale du tourisme, mais cette performance repose sur une logique quantitative. Or, la valeur unitaire par visiteur est en baisse continue depuis trois ans, ce qui appelle à une réévaluation du modèle économique du secteur».
Un modèle à rééquilibrer
Depuis 2022, les performances touristiques du Maroc ont franchi les seuils d’avant-crise, avec une hausse significative des flux de visiteurs, des nuitées et des recettes globales. Toutefois, cette croissance reste principalement portée par l’augmentation des volumes. Le secteur demeure largement dépendant d’un tourisme de masse, moins rentable qu’un modèle fondé sur la création de valeur par visiteur.
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Pour rendre cette croissance durable, plusieurs leviers doivent être actionnés. «D’une part, une montée en gamme de l’offre touristique, à travers l’amélioration de la qualité des services, de l’hébergement, de l’accueil et de l’expérience client. D’autre part, une segmentation plus précise des clientèles, en ciblant les marchés à forte contribution», préconise notre interlocuteur.
Certaines régions s’inscrivent déjà dans cette logique. Marrakech-Safi, Souss-Massa, Drâa-Tafilalet ou Dakhla-Oued Eddahab développent des offres spécifiques, valorisant leur patrimoine culturel, naturel ou artisanal. Ces démarches renforcent la compétitivité territoriale, mais nécessitent un accompagnement stratégique et une coordination nationale.
C’est pourquoi Zoubir Bouhout insiste sur la nécessité de «repositionner le Maroc sur des segments à plus forte valeur ajoutée, en intégrant pleinement les enjeux de durabilité, d’innovation et de fidélisation».