Une réforme en profondeur du système de tarification des médicaments est en préparation. C’est ce qu’a récemment annoncé le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, devant la Chambre des représentants. Élaboré en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, ce projet ambitieux vise à instaurer une tarification plus juste, équitable et transparente.
Cette déclaration ravive l’espoir d’une prise en charge enfin sérieuse — et surtout décisive — de la question structurelle de la cherté des médicaments au Maroc. Mais elle soulève également de nombreuses interrogations: jusqu’où ira cette réforme? Et surtout, sera-t-elle à la hauteur des attentes, tant des professionnels de santé que des citoyens?
«Il faut en finir avec la politique de raccommodage qui consiste à opérer des petites baisses insignifiantes des prix de certains médicaments dont la plupart sont, d’ailleurs, très peu consommés ou sont des génériques utilisés par les hôpitaux», lance d’emblée Ali Lotfi, président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé et du droit à la vie, interrogé par Le360.
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Une réforme d’autant plus urgente que la situation, selon ses termes, a atteint un seuil intolérable. À titre d’exemple, précise notre interlocuteur, certains médicaments commercialisés au Maroc affichent des prix jusqu’à cinq fois supérieurs à ceux pratiqués dans de nombreux pays, y compris européens. Un écart difficilement justifiable, qui alimente le sentiment d’injustice chez les patients et met en lumière l’inefficience du système actuel.
Mais comment y arriver?
Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en systèmes et politiques de santé, tient d’abord à rappeler un chiffre particulièrement révélateur: près de 30% des dépenses de santé au Maroc sont absorbées par les seuls médicaments. Une proportion qu’il juge excessive, car elle pèse lourdement, à la fois sur le pouvoir d’achat des patients et sur la soutenabilité financière des caisses d’assurance maladie, telles que la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale) et la CNOPS (Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale).
Cinq leviers pour réduire le coût des médicaments
Afin d’alléger la charge financière que représentent les médicaments pour les patients marocains, Tayeb Hamdi recommande l’activation de cinq leviers majeurs. Objectif: rendre les traitements plus accessibles sans nuire à la viabilité du secteur pharmaceutique.
1. Revoir les prix à la baisse
Premier levier, et sans doute le plus urgent: la révision des prix pratiqués au Maroc. Tayeb Hamdi dénonce des aberrations tarifaires qui font que certains médicaments sont plus chers qu’en France, en Belgique, en Allemagne ou encore en Turquie, Égypte et Tunisie.
Il appelle à revoir les critères de référence utilisés pour fixer les prix — notamment la liste des pays comparés — et à engager des réformes structurelles profondes, en concertation avec les pharmaciens, les industriels et les autorités de santé.
Autre piste de réforme: le mode de calcul des marges bénéficiaires des pharmacies, actuellement basé sur un pourcentage du prix du médicament. Ce système, estime-t-il, désincite à proposer des traitements moins onéreux. Il préconise plutôt un modèle fondé sur l’acte de dispensation, comme cela se fait dans d’autres pays, où la rémunération du pharmacien dépend de l’ordonnance, non du prix du produit délivré. Une logique qui permettrait d’encourager l’usage de médicaments abordables, tout en maintenant la rentabilité des officines.
«Il ne s’agit pas de faire peser le poids de la réforme sur les pharmaciens, mais d’adopter des solutions déjà éprouvées ailleurs», insiste-t-il.
2. Promouvoir les médicaments génériques
Le deuxième levier repose sur la promotion active des génériques. Ceux-ci ne représentent aujourd’hui qu’environ 40% des médicaments consommés au Maroc, un taux bien inférieur à celui observé dans d’autres pays comme les États-Unis, où la part des génériques atteint 80%.
Pour Tayeb Hamdi, encourager leur prescription permettrait de réduire significativement les coûts pour les assurés comme pour les caisses de couverture santé.
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3. Soutenir l’industrie pharmaceutique nationale
Une production locale plus robuste permettrait de limiter les importations coûteuses, d’assurer une meilleure souveraineté sanitaire, et de faire baisser les prix grâce à des circuits plus courts et des coûts de production maîtrisés.
4. Standardiser les protocoles thérapeutiques
Quatrième levier: la mise en place de protocoles thérapeutiques normalisés pour chaque maladie. L’objectif est double: harmoniser les pratiques médicales et garantir une qualité de soins équitable, tout en maintenant des coûts maîtrisés. Cela permettrait notamment d’éviter les prescriptions redondantes ou excessives, souvent sources de dépenses injustifiées.
5. Organiser un parcours de soins coordonné
Enfin, la mise en place d’un véritable parcours de soins coordonné constitue le cinquième levier. Le patient devrait, selon Tayeb Hamdi, consulter en priorité son médecin traitant, qui jouerait un rôle central de filtre et d’orienteur vers les spécialistes si nécessaire.
Un tel système présente plusieurs avantages : gain de temps, optimisation des diagnostics et traitements, et réduction des dépenses inutiles. En valorisant la médecine générale comme porte d’entrée du système, on garantit une meilleure coordination et un suivi plus cohérent des patients.