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Entendu ce matin sur les ondes de France Inter:
Après les frappes américaines contre des sites nucléaires en Iran, «on a basculé dans un autre registre» de la guerre, estime la journaliste et géopolitologue Rym Momtaz. «Il va falloir voir si les Iraniens ont la sagesse de prendre le chemin diplomatique que les Américains sont en train de leur offrir malgré tout et si le président Trump va savoir contraindre le Premier ministre israélien à s’arrêter à un moment.»
Rien à ajouter.
La peur, l’angoisse, la destruction et la mort sont un langage facile.
Le dialogue, l’échange, le débat, sont devenus impossibles.
Alors on se tait, on ferme les yeux et on se dit: contre la folie des hommes, liée à la puissance des armes et de l’argent, il ne reste au monde que les yeux pour pleurer et la sagesse de revenir à Dieu et à Sa Miséricorde!
2-
Ma dernière chronique a suscité un nombre important de réactions. Même mon ami Fouad Laroui m’a écrit pour me rappeler que de plus en plus de Marocains reviennent au pays, citant son cas:
«Après vingt ans d’enseignement et de recherche en France, en Belgique, en Angleterre (Cambridge et York) et aux Pays-Bas, j’ai fini par revenir au Maroc et j’enseigne maintenant avec plaisir la Culture scientifique à l’UM6P, à Benguerir. Et les étudiants apprécient mes cours.
Ici, nous avons 177 professeurs marocains qui partagent leur temps entre l’étranger, où ils font de brillantes carrières, et le Maroc. Tout le monde y gagne...
Le plus important est de maintenir le lien avec le pays, comme les Irlandais et les Grecs le font.»
Un autre commentaire rappelle que moi-même je suis parti vivre en France…
Là-dessus, je dois aux lectrices et lecteurs une explication qui remettra, j’espère, les choses à leur place.
J’ai fait mes études de philosophie à la faculté des lettres de Rabat. J’avais bénéficié d’une bourse de 470 dhs par mois qui me liait au ministère de l’Éducation nationale. Je lui devais 8 ans d’enseignement.
Nommé professeur de philosophie au lycée Charif Idrissi à Tétouan, j’ai été émerveillé par l’enseignement. Transmettre était pour moi une passion. La pédagogie a été de tout temps pour moi un devoir en tant que citoyen.
Deux ans plus tard, je fus nommé au lycée Mohammed V à Casa. Là, les choses ne se sont pas bien passées. Des grèves, des manifestations de lycéens, des éléments de «chabakounis» (ça va cogner) entraient dans la cour du lycée et tabassaient les élèves.
Nous sommes à la veille du premier coup d’État de Skhirat.
État d’exception. Répression tous azimuts. Arrestations des intellectuels, etc.
Avec le second coup d’État en 1972, «les années de plomb» s’installèrent dans le pays où l’on avait du mal à respirer et encore moins à parler.
Un communiqué du ministre de l’Intérieur annonça que «dorénavant, l’enseignement de la philo sera remplacé par celui de la pensée islamique en arabe».
Ce fut ainsi que l’Intérieur pensait lutter contre la contestation estudiantine.
Mon départ en France s’imposa à moi. N’ayant pas été formé pour enseigner la pensée islamique en langue arabe et surtout devant renoncer à l’enseignement de la philosophie universelle de Platon à Heidegger en passant pas Aristote, Descartes, Spinoza, Kant et d’autres grands philosophes, j’ai dû me résoudre à partir en France.
Arrivé à Paris avec une aide symbolique d’une association caritative, j’ai dû faire tous les métiers pour vivre et étudier.
Séparé de mon pays et de mes parents, j’ai été malheureux, mais résistant. Je tenais à rentrer chez moi au moins une fois par an. Je me souviens de la trouille face aux polices des frontières qui prenaient mon passeport vert et mettaient un temps fou à vérifier des choses avant de me le rendre.
«Le Prix Goncourt n’est pas arrivé sur un plateau d’argent. Il avait fallu le succès de «L’enfant de sable» et des tournées dans la plupart des librairies de France pour faire connaître mon travail et le faire apprécier.»
— Tahar Ben Jelloun
Je raconte ces épisodes parce que les jeunes d’aujourd’hui vivent dans un pays libre. Ils peuvent obtenir un passeport en quelques jours. Moi, j’avais mis un an avant d’obtenir le mien (plein de fautes, mais que j’ai gardé).
L’écriture, la publication, la vie littéraire ont été un combat. Le Prix Goncourt n’est pas arrivé sur un plateau d’argent. Il avait fallu le succès de «L’enfant de sable» et des tournées dans la plupart des librairies de France pour faire connaître mon travail et le faire apprécier. J’ai tout le temps travaillé durement. Rien ne m’a été donné. Il fallait se battre quotidiennement pour se faire une petite place dans la République des Lettres françaises. Ma collaboration au quotidien le plus prestigieux à l’époque, Le Monde, a été une rude épreuve. Je la raconte dans un récit à paraître début janvier 2026 («Pigiste au Monde»). Vous verrez ce que votre serviteur a enduré pour garder sa dignité et son amour pour son pays.
Ce rappel m’a paru nécessaire, car je pense que la jeunesse d’aujourd’hui ne s’imagine pas l’atmosphère irrespirable dans laquelle nous vivions, avec en plus la peur de l’arbitraire, la peur de la disparition, la peur de parler et le manque absolu de la liberté. C’était l’époque où le poète Abdellatif Laâbi était en prison avec d’autres intellectuels.
Dans ces années-là, partir s’imposait même quand les moyens manquaient. Mais partir ne voulait pas dire oublier le pays ou s’en détacher; au contraire, j’ai rarement tant aimé mon pays que durant ces années où nous avions le Maroc au cœur et la passion de la liberté comme valeur fondamentale.
3-
Ces derniers temps j’ai pris souvent le Boraq. Toujours impeccable. Ponctuel. Propre. Confortable. Bref, à chaque fois je me réjouis de l’utiliser pour mes voyages.
Dernièrement, j’ai constaté un petit fait, une sorte d’oubli ou un changement dans les annonces. La langue française a disparu, remplacée par l’anglais. Pourquoi? À la limite l’annonce peut être faite dans les trois langues, et j’y ajouterai une quatrième, l’espagnol, car nombre d’Espagnols sont contents de se rendre à Casa en 2h10!
Je me suis renseigné. On m’a dit que c’est une demande de la FIFA en vue de la Coupe du monde du football de 2030.
D’accord, mais la FIFA n’a pas à imposer une langue plutôt qu’une autre. L’ONCF et surtout le Boraq devraient respecter les langues les plus parlées dans le plus beau pays du monde: l’arabe (et même le darija) et le français (pas uniquement en direction des Marocains, mais aussi des nombreux voyageurs français).
J’ai constaté la même chose dans le vol 667 Paris-Tanger de la RAM. Notre chère RAM a affrété un avion d’une compagnie dont on ne sait rien. Il y avait des hôtesses et des pilotes qui parlaient un anglais pathétique, incompréhensible et une hôtesse marocaine qui faisait les annonces en arabe, pas de langue française.
Je suis un défenseur de la compagnie nationale, parce qu’elle est sérieuse, souvent ponctuelle et surtout ne badine pas avec la sécurité. Mais de grâce, arrêtez d’affréter des machines d’origine inconnue, et à voir l’état des toilettes, on se rend compte que ce sont des avions qui ont beaucoup servi.
La RAM a des ambitions, mais pas assez de machines pour les réaliser. Soyons modestes, et que les avions affrétés soient de très bonne qualité sur tous les plans. Comme m’a dit mon voisin de siège: on paye plein pot et on nous embarque dans des low-cost! Certes, il y avait un repas. On peut s’en passer, car il n’est pas appétissant. La RAM est peut-être la seule compagnie qui continue de servir un repas chaud sur une distance entre deux et trois heures de vol.
Attention! La concurrence est rude. Que la RAM révise sa politique, car nous l’aimons bien. Et je vous en prie, n’affrétez plus des avions qui ne sont pas de la qualité RAM. Le voyageur a besoin d’être rassuré en ces temps où des Boeings ont quelques petits tracas.