Le Royaume-Uni a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara il y a 130 ans

Mouna Hachim.

ChroniqueLe soutien britannique au plan d’autonomie s’inscrit dans le prolongement d’un fil stratégique tissé depuis huit siècles et réactive un ancien pacte scellé, à l’ombre des ruines encore visibles, de la Casa del Mar…

Le 07/06/2025 à 11h31

Ce n’est ni un simple acte de convenance diplomatique, ni l’expression d’un alignement mimétique.

Le soutien au plan d’autonomie marocain au Sahara, par le Royaume-Uni, s’inscrit dans une trajectoire stratégique mûrement réfléchie, en résonance avec la dynamique géopolitique internationale actée par plusieurs puissances, tout en confortant l’initiative d’un allié de confiance sur le continent africain, acteur central de la stabilité au Maghreb et au Sahel, dont la diplomatie se distingue par sa constance, son pragmatisme et son attachement au respect du droit international.

Cet engagement britannique décisif, loin d’être improvisé ou isolé, s’inscrit dans la continuité d’une tradition de politique étrangère marquée par un subtil équilibre entre réalisme stratégique et capacité d’adaptation. À cela s’ajoutent un socle de valeurs communes, une convergence d’intérêts et des liens historiques solidement ancrés.

En la matière, l’histoire diplomatique entre les deux royaumes est multiséculaire, ses origines remontant à plus de huit cents ans.

Nous ne remonterons pas jusqu’aux prémices du 13e siècle, lorsque Jean sans Terre —roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande et duc d’Aquitaine —, en guerre contre la France de Philippe Auguste et frappé d’excommunication par le pape, envisageait un pacte improbable avec le calife almohade Mohammed Nasir, allant jusqu’à envoyer une ambassade à sa cour, à Marrakech, proposant de faire acte de soumission (voire même de conversion à l’islam, disent certaines versions), en échange d’un soutien militaire.

Un épisode hypothétique, aux confins du mythe, mais révélateur d’une vérité profonde: le Maroc n’est pas perçu comme un acteur périphérique mais comme un pivot essentiel des équilibres méditerranéens.

Ne parlons même pas des relations, autrement plus structurées, qui s’établissent au 16e siècle entre les Saâdiens et les Tudor!

Dans la foulée de la victoire marocaine à la bataille des Trois Rois, la souveraine Élisabeth Ire n’avait-elle pas expédié au Maroc une cargaison de bois en provenance du Sussex et de Southampton, destinée à renforcer les chantiers navals du royaume, avant de fonder par lettres patentes la Barbary Company, société commerciale chargée d’organiser les échanges avec le Maroc, et dont l’un des membres fut Henry Roberts, envoyé à Marrakech en tant qu’agent diplomatique et commercial!

Que dire de la mission à Londres du secrétaire royal Abd el-Ouahed Annuri, porteur d’une missive appelant à une alliance militaire entre les deux couronnes? Un diplomate dont la présence à la cour d’Élisabeth fascine encore, au point que certains historiens voient en lui l’inspirateur possible du célèbre Othello, héros de la tragédie éponyme de William Shakespeare!

Quoi qu’il en soit, de cette tentative d’alliance naissent des liens diplomatiques et commerciaux durables, caractérisés par un échange exceptionnel entre souverains. En témoigne la teneur des lettres de la reine au sultan, empreintes de respect et de complicité, ainsi que sa signature singulière: «Votre sœur et parente selon la loi de la couronne et du sceptre».

Au fil des siècles, les soubresauts de l’histoire laissèrent entrevoir les multiples facettes d’une relation faite d’échanges, de traités commerciaux, d’amitié et de paix, de missions diplomatiques, de négociations pour la libération des captifs, et, bien sûr, de conflits sporadiques, notamment autour de la guerre de course.

Mais c’est particulièrement l’ère de l’expansion coloniale au 19e siècle qui retient ici notre attention, dans la mesure où les nations occidentales constituent d’incontestables témoins.

Dans cette course effrénée de l’époque aux terres et aux débouchés, les grandes puissances ont-elles vu la moindre trace d’un ancêtre du Polisario? Ont-elles identifié, sur le plan ethnographique, un «peuple sahraoui» tel que le conçoit aujourd’hui la narration algérienne? Existait-il seulement un État-nation souverain appelé Algérie, aujourd’hui enlisé dans un soutien obstiné à un mouvement séparatiste aux accointances douteuses avec de sombres réseaux transnationaux, instrument majeur d’une tactique malsaine de déstabilisation géopolitique, conçu aussi pour rompre l’accès du Maroc à sa profondeur africaine, tout en tentant de compenser son propre enclavement continental?

Par ailleurs, ce rêve impérial des puissances occidentales, échoué sur les côtes du Sahara, ne vient nullement briser la trame d’un dialogue durable et nous rappelle au contraire que la nouvelle orientation britannique s’inscrit dans une cohérence historique d’exception.

Car historiquement parlant, le Royaume-Uni a reconnu la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara il y a plus de 130 ans.

Le 13 mars 1895, l’accord anglo-marocain stipulait en effet que les territoires s’étendant de l’Oued Draâ à Cap Boujdour relevaient de la souveraineté du sultan.

Pour comprendre le contexte de ce traité, il faut exhumer une page presque oubliée: l’affaire Mackenzie.

Celui-ci est présenté comme un ingénieur écossais, doublé d’explorateur et de commerçant, financé par des hommes d’affaires de Manchester et mandaté par la société commerciale North West African Company, auteur en 1911 de The Khalifate of the West: Being a General Description of Morocco («Le Califat de l’Ouest: aperçu général du Maroc»), retraçant son itinéraire à travers le territoire marocain, y compris le Sahara.

Dans cette ruée vers l’Afrique, alors que les convoitises des puissances européennes sont à leur comble, Donald Mackenzie installe, à partir de 1875, une factory, à Tarfaya, sur le Cap Juby, face à l’archipel des Canaries, appelée Fort Voctoria, dite aussi Casa del Mar.

Son objectif est de récupérer une part du trafic saharien qui s’écoulait alors entre le Sud marocain et l’embouchure du fleuve Sénégal, de contrer l’influence française qui renforçait sa pression sur Tombouctou, voire, dans ses projets les plus fous, de creuser un canal maritime depuis l’Atlantique afin de transformer le désert en une voie navigable menant au Soudan et à ses «cent millions de consommateurs».

Mais le Maroc n’est pas un no man’s land.

Le royaume avait déjà déjoué plusieurs manœuvres.

«Les tentatives françaises et allemandes de s’implanter sur la côte saharienne dans le but «d’intercepter les caravanes du Soudan» et d’éluder les douanes marocaines «en concluant» des accords avec les chefs de tribus, ou celles des belges à créer un «sanatorium de la croix rouge en relation avec l’Etat libre du Congo», échouèrent toutes à la suite de l’intervention énergique des Sultans et de l’opposition systématique des populations locales», lit-on de la plume du docteur en droit, Raouf Kebbaj.

Dès les premières pierres posées à Tarfaya, le sultan Moulay Hassan entre en scène.

Il entreprend d’abord la voie diplomatique et s’appuie sur la mission envoyée en 1881-1882, sous la conduite de Mohamed Guebbas, qui a saisi le corps diplomatique d’une protestation à Tanger.

Sur le plan économique, le sultan fait des propositions de compensations financières.

Face au refus de toutes les options, d’autres tentatives marocaines, plus coercitives, furent entreprises pour obtenir l’évacuation de la factorerie. Parmi elles, se distinguèrent les expéditions militaires menées par le sultan en personne, notamment en 1882, puis lors de sa troisième expédition dans le Souss en 1886.

Les attaques des tribus se poursuivent de leur côté depuis 1879, 1883 ou 1888 contre ce comptoir, érigé en un foyer de tensions. On y trafiquait des armes; on y menait des négociations avec les caravaniers du Soudan, tandis que les suspicions grandissaient tant chez les Français du Sénégal que parmi les autorités espagnoles… et même chez les Britanniques, mal à l’aise face aux ambitions d’autonomie affichées par leur ressortissant.

C’est ainsi qu’après la prise de Tombouctou par les Français en 1894, et le détournement du commerce vers Saint-Louis du Sénégal, l’Angleterre accepte de vendre au Maroc le comptoir de Tarfaya pour la somme de 50.000 livres, à condition que ses intérêts commerciaux y soient préservés et que nul autre acteur européen n’y plante son drapeau.

L’accord qui accompagne cette vente est limpide : «Aucune Puissance ne pourra émettre des prétentions sur les territoires allant de l’Oued Draâ au Cap Bojdor et appelés Tarfaya comme il est dit plus haut et à l’intérieur parce que ces territoires appartiennent au Maroc».

Ce que l’on appelle aujourd’hui la reconnaissance britannique du plan marocain n’est donc pas une rupture, mais une forme de retour aux sources d’une vérité géopolitique documentée, consolidée et finalement confirmée.

De manière générale, ni Londres ni Rabat n’agissent dans la précipitation. Ce sont deux monarchies qui connaissent le poids du temps long… 800 ans de relations diplomatiques, commerciales et politiques ont forgé un lien rare, nourri de pragmatisme.

Par Mouna Hachim
Le 07/06/2025 à 11h31