Le ministre de l’Intérieur a été et reste au cœur de la crise avec l’Algérie, tant la relation avec ce pays fait aujourd’hui partie de la politique intérieure française et tant les mesures qu’il a voulu prendre, expulsions ou reconduite d’Algériens en situation irrégulière, se heurtent à l’opposition du gouvernement algérien. On pourrait aussi ajouter qu’il fait l’objet, comme l’auteur de ces lignes d’ailleurs, d’une violente campagne de critique et de dénigrement de la part de la presse algérienne.
Ces derniers mois, face à une diplomatie jugée timorée incarnée par Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, c’est le ministre de l’Intérieur qui s’est imposé comme le porte-voix d’une ligne de fermeté constante à l’égard d’Alger. Pris pour cible par une presse algérienne alignée sur le pouvoir — les deux ne faisant qu’un —, il s’est retrouvé, souvent malgré lui, érigé en principal adversaire du régime algérien sur la scène médiatique.
Pour le pouvoir algérien, les OQTF, c’est lui, le non-respect du droit, c’est lui, les mesures soi-disant anti-algériennes, c’est lui, l’arrestation d’un membre du consulat algérien de Créteil, c’est encore lui, les attaques contre la mosquée de Paris, c’est encore le ministre d’État puisqu’il avait refusé d’assister à un «Iftar» pendant le ramadan.
Il est vrai que dans le bras de fer diplomatique avec Alger, la «ligne Retailleau» — si l’on peut l’appeler ainsi — se distingue par sa clarté et semble, à ce jour, prendre le dessus. La récente décision de la France, annoncée la semaine dernière, de suspendre l’application de l’accord de 2013 exemptant les détenteurs algériens de passeports diplomatiques et de service de visa pour entrer sur le territoire, en est une illustration manifeste.
L’escalade des derniers jours a de quoi irriter Alger: non seulement un agent du consulat algérien de Créteil est mis en cause, mais quatre suspects ont été interpellés dans le cadre de la tentative d’enlèvement de l’influenceur algérien « Amir Dz ». Ces arrestations, opérées à la demande du parquet national antiterroriste, concernent notamment un individu agissant sous couverture diplomatique.
Avec cette escalade, il y a, en filigrane, le risque que l’opinion publique française, déjà passablement remontée contre Alger, découvre avec ces révélations, l’ampleur des interventions algériennes et des opérations menées en toute illégalité sur le sol français. Le risque existe également (et on ne s’en rend pas vraiment compte à Alger), que l’image de l’Algérie soit durablement et fortement endommagée jusqu’à devenir négative en France. Interrogez les Français, vous aurez peu de réponses favorables à l’Algérie et aux Algériens! D’autant plus que le patron des services extérieurs algériens est l’ancien chef de l’antenne de la DGDSE à Paris et qu’il ne peut pas ne pas avoir été au courant.
L’objectif du pouvoir algérien d’obtenir la tête du ministre de l’Intérieur, objectif sans doute recherché en début d’année, doit désormais être abandonné tant le ministre d’État incarne aujourd’hui au sein du gouvernement la ligne de fermeté vis-à-vis de l’Algérie. Son élection, ou son «sacre» à la tête du parti conservateur ainsi que sa défense d’une ligne plus droitière, compliquent l’équation et finissent par faire de Bruno Retailleau le chef de file des partisans du rapport de forces, assumé avec l’Algérie.
Dimanche 18 mai, c’est donc une double défaite pour Alger: Bruno Retailleau l’emporte dans son élection à la tête du parti «Les Républicains» avec une majorité écrasante qui ne peut que renforcer sa légitimité et son poids au sein du gouvernement. En outre, en confirmant son choix de rester au gouvernement, Bruno Retailleau veut continuer à peser sur les choix gouvernementaux. Alger devra, de fait, continuer à compter avec lui.
«L’Algérie ternit durablement son image, elle pénalise les Algériens d’Algérie comme ceux vivant en France, elle renforce son isolement diplomatique et donne d’elle l’image d’un pays agressif. »
— Xavier Driencourt
Le pouvoir algérien avait déjà donné instruction aux titulaires nationaux de passeports diplomatiques algériens de ne plus se rendre en France, ce qui peut gêner nombre de dignitaires algériens coutumiers d’un vol Alger-Paris pour faire des courses ou rendre visite à la famille. Les ministres, comme celui de l’Information, ou celui des Transports ont également dû rapatrier leur progéniture à Alger car celle-ci serait à la merci du ministre de l’Intérieur!
On le voit, le «ruissellement» ou les conséquences des nombreuses décisions ou provocations algériennes ne sont pas finis. Le pouvoir algérien en est réduit à s’enfermer dans un isolement hautain et une bouderie agressive pour se donner l’apparence de la fermeté.
Ce faisant, Alger devrait considérer que cet isolement boudeur a aussi des conséquences indirectes graves pour le pouvoir comme pour la population algérienne.
En effet, le gouvernement d’Alger reproche à Paris de ne pas avoir donné l’agrément à la nomination envisagée des deux consuls généraux de Paris et de Marseille ainsi qu’à sept autres fonctionnaires algériens. C’est oublier que ce même gouvernement avait mis un an pour répondre au projet de nomination des consuls généraux français à Oran et à Alger.
En représailles, Alger, par la dénonciation de l’échange de lettres de 2013 sur les passeports diplomatiques, refuse son accord aux nominations envisagées par le Quai d’Orsay dans ses consulats pour les relèves de personnel prévues à l’été 2025.
Mieux, il bloque, à l’aéroport d’Alger, ceux qui viennent pour une simple mission temporaire de renfort.
Ce faisant, privés de personnel, les consulats français en Algérie ne pourront plus travailler, ni instruire les demandes de visas, ni répondre aux sollicitations des Franco-Algériens qui, en général, profitent de l’été pour faire leurs démarches administratives. C’est donc contre sa propre population que le pouvoir algérien travaille!
L’onde de choc provoquée par la crise entre la France et l’Algérie, l’élection de Bruno Retailleau à la tête du parti gaulliste, ainsi que le renforcement probable de son influence au sein du gouvernement, est loin d’être retombée.
Faut-il voir dans la nomination du nouveau DGSI algérien, le général dit «Hassan», une des multiples conséquences de cette crise? Alger se résoudrait-il à une vision moins idéologique et plus pragmatique vis-à-vis de Paris?
Rien n’est exclu, tant la logique paranoïaque d’Alger se double d’une approche suicidaire.
Qui, au final, a le plus à perdre dans cette crise?
Sur le court terme évidemment, Paris est perdant, les OQTF ne peuvent être exécutées, le retrait économique français de l’Algérie est réel au profit de l’Italie, de l’Espagne et de la Turquie, enfin, les mesures vexatoires prises par El Mouradia vis-à-vis des diplomates français gênent la diplomatie française.
En revanche, sur le long terme, ce sont les Algériens ou Franco-Algériens de France et la population algérienne qui seront pénalisés. Et, on l’oublie, l’image de l’Algérie et des Algériens, déjà érodée, risque d’être durablement ternie en France. Mais de cela, Alger n’en a cure.
L’Algérie, par le processus infernal qu’elle a, elle-même, déclenché s’est, en quelque sorte, «tiré une balle dans le pied», dirait-on familièrement. Elle ternit durablement son image, elle pénalise les Algériens d’Algérie comme ceux vivant en France, elle renforce son isolement diplomatique et donne d’elle l’image d’un pays agressif.
Le seul objectif, dirait-on, qu’elle cherche à atteindre (et qu’elle atteint peut-être!), c’est finalement de montrer qu’elle peut peser dans la politique intérieure française. Comme sous la 4ème République, mais d’une tout autre manière évidemment, l’Algérie devient un acteur de la politique française. Et de ce côté-ci de la Méditerranée, l’Élysée comme le gouvernement– à l’exception, encore une fois de Bruno Retailleau– cherchent à ménager Alger, comme il le faisait sous la 4ème République avec les pieds noirs. On connaît, hélas, la suite de l’histoire…