Algérie-Syrie: le lourd passif à solder

Mustapha Tossa.

ChroniqueIl paraît clair aujourd’hui que la précipitation fiévreuse du régime d’Alger à prendre langue avec le nouveau pouvoir syrien avait un double objectif. Le premier est de solder les restes du soutien militaire algérien au pouvoir de Bachar al-Assad. Le second est de tenter de convaincre les nouvelles autorités syriennes de maintenir leur reconnaissance des séparatistes du Polisario.

Le 17/02/2025 à 16h00

La réaction des autorités algériennes aux informations selon lesquelles leur ministre des affaires étrangères, Ahmed Attaf, serait parti négocier avec le nouveau pouvoir syrien la libération d’un groupe de soldats algériens et de mercenaires du Polisario, qui seraient détenus en Syrie, était d’une remarquable disproportion. Sans doute l’exagération dans les réactions était-elle destinée à camoufler l’immense gêne qu’un tel scénario pourrait produire dans le cas où il venait à acquérir véracité et crédibilité.

D’ailleurs, faut-il pointer une anomalie diplomatique d’une signification particulière? Le ministère algérien des Affaires étrangères n’a produit aucun document officiel dans lequel il dément catégoriquement «ces allégations». Le régime d’Alger s’est contenté de commander une diatribe auprès de son agence de presse officielle contre les médias et les influenceurs marocains. Mais le silence des autorités politiques algériennes ne fait qu’augmenter le doute et la suspicion.

Tout commence par la tentation de poser cette grande interrogation: pour quelles raisons le pouvoir algérien s’est-il empressé d’organiser une visite de son ministre des affaires étrangères à Damas, alors que le régime d’Alger était l’un des derniers soutiens du régime de Bachar al-Assad? Alors que ce dernier était déjà en train d’organiser sa fuite vers Moscou et que l’opposition armée marchait sur Damas, les autorités algériennes s’accrochaient à leur soutien aveugle au pouvoir déchu. Et à peine les nouvelles autorités étaient-elles en train de s’installer que le régime algérien a fait jouer ses amitiés (turques ou qataries?) pour organiser ladite visite.

L’urgence ressentie par le pouvoir algérien d’aller à la rencontre des nouveaux maîtres de Damas n’est pas que le fruit d’un retournement de veste diplomatique, très courant d’ailleurs lors de ces changements politiques. L’urgence était motivée par une mission beaucoup plus grave, qui ne pouvait attendre. Et c’est là qu’interviennent les informations selon lesquelles Ahmed Attaf serait parti négocier quelque chose de lourd, et pas uniquement se livrer à une cérémonie de courtoisie diplomatique qui aurait pu attendre d’autres moments, et qui ne souffrait d’aucune urgence.

L’affaire des éléments algériens et des mercenaires du Polisario partis aider le régime de Bachar al-Assad dans sa guerre contre l’opposition est très vraisemblable, malgré l’absence d’une confirmation officielle des nouvelles autorités syriennes. Faut-il rappeler ici que le fait de recourir à des éléments étrangers pour secourir le régime syrien était une stratégie iranienne ouvertement assumée? L’Iran l’avait fait avec le Hezbollah libanais. Avant d’être décapitées par Israël, les forces du Hezbollah libanais avaient joué un rôle crucial pour empêcher la défaite militaire de Bachar al-Assad.

«Au cours de ses dernières semaines au pouvoir, Bachar al-Assad n’avait pas tari d’éloges sur les aides algériennes au régime syrien, qu’elles soient de nature militaire ou logistique.»

Au cours de ses dernières semaines au pouvoir, Bachar al-Assad n’avait pas tari d’éloges sur les aides algériennes au régime syrien, qu’elles soient de nature militaire ou logistique. Il ne pouvait le faire avec autant de conviction si le soutien d’Alger se limitait au volet diplomatique, comme lorsqu’il s’est agi de normaliser les rapports de Bachar al-Assad avec son environnement arabe, entreprise qu’avait tentée la diplomatie algérienne, avec les échecs qu’on connaît lors du Sommet arabe d’Alger. Une mission réussie quelque temps plus tard par la diplomatie saoudienne, lors du Sommet arabe de Ryad.

Aujourd’hui, il paraît clair que la précipitation fiévreuse du régime d’Alger à prendre langue avec le nouveau pouvoir syrien avait un double objectif. Le premier est de solder de la manière la plus discrète les restes du soutien militaire algérien au pouvoir de Bachar al-Assad, en tentant de récupérer les soldats algériens et les éléments du Polisario qui croupissent dans les prisons syriennes.

Le second est de tenter désespérément de convaincre les nouvelles autorités syriennes de maintenir leur reconnaissance des séparatistes du Polisario. C’est dans cet objectif qu’Ahmed Attaf avait fait miroiter une mirobolante aide économique et financière algérienne à destination de la nouvelle équipe au pouvoir à Damas. Mais sans aucun succès. Le ministre algérien a été froidement et poliment reconduit, ce qui a donné à sa mission un relent de retentissant échec.

L’affaire des soldats algériens et des éléments du Polisario qui seraient détenus par les autorités syriennes, si elle se confirme par des faits matériels, serait d’une gravité sans nom pour Alger. Elle ferait du régime algérien un complice majeur dans les crimes de guerre commis par Bachar al-Assad contre sa population. Quand viendra l’heure des jugements, que ce soit sur le plan interne syrien, avec la nécessité d’une justice transitionnelle, ou sur le plan de la justice internationale, les criminels syriens et leurs complices, iraniens ou algériens, auront inévitablement à rendre des comptes. Cette phase judiciaire est indispensable pour le nouveau pouvoir syrien, qui aspire à encadrer une transition avec le plus de justice et le moins de dégâts.

Pour ce qui est du Polisario, si les informations selon lesquelles ses milices auraient participé à la guerre de Bachar al-Assad contre la population syrienne venaient à se confirmer de manière officielle, elles donneraient une nouvelle dynamique à tous ceux qui cherchent des preuves irréfutables pour la placer sur la liste des organisations terroristes. Ce qui serait un tournant majeur dans l’histoire de la discorde entre le Maroc et l’Algérie autour du Sahara.

Par Mustapha Tossa
Le 17/02/2025 à 16h00