Le discours a été prononcé lors de la 13ème réunion internationale des responsables de la sécurité et du renseignement, un rendez-vous stratégique au cœur des enjeux de sécurité mondiale, organisé par le Conseil de sécurité nationale de la Russie et auquel participent du 27 au 29 mai les dirigeants sécuritaires de 100 pays. En dix minutes chrono, la prise de parole a pris la forme d’un diagnostic implacable quant à la situation sécuritaire dans le monde, et au Maroc.
Son auteur n’est autre que le directeur général de la Sûreté nationale et de la Surveillance du territoire, Abdellatif Hammouchi. Depuis Moscou, le responsable sécuritaire marocain dresse un constat glaçant de l’évolution des menaces terroristes et criminelles dans le monde. Le Maroc, en première ligne, alerte sur la sophistication croissante des réseaux jihadistes et criminels, ainsi que sur leur capacité à se réinventer et à infiltrer les failles du système international.
Une criminalité transnationale polymorphe
Du discours de Hammouchi, on apprend qu’entre 2024 et le premier trimestre de 2025, les services marocains ont interpellé 62 ressortissants étrangers de 25 nationalités différentes. Ces individus, recherchés via des mandats d’arrêt internationaux, étaient impliqués dans des actes graves: appartenance à des groupes armés, assassinats, crimes cybernétiques, agressions sexuelles sur mineures, blanchiment d’argent et trafic de drogue. Originaires d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, ils se déplaçaient avec de faux documents d’identité et de voyage, fournis par des réseaux transnationaux spécialisés.
Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il traduit la capacité de ces criminels et leurs réseaux à exporter leurs pratiques à travers les continents, profitant des insuffisances dans la coopération sécuritaire mondiale.
Tous les moyens sont bons et même l’immigration clandestine devient une couverture pour les pires crimes. Le 3 octobre 2023, une opération d’immigration clandestine a servi d’alibi à une tentative de piraterie maritime entre Tan-Tan et l’île de Lanzarote, relate Hammouchi. Par ailleurs, des vols commerciaux entre le Maroc, la Turquie, l’Espagne et Malte ont été la cible de menaces sécuritaires, illustrant une nouvelle hybridation entre terrorisme et criminalité transfrontalière.
Daech: le Maroc pour cible
Le patron du pôle DGSN-DGST est catégorique. Le Maroc est doublement ciblé par des groupes terroristes comme Daech. D’un côté, comme base. De l’autre, comme victime potentielle. Il en veut pour preuve le fait que ses services ont récemment déjoué un projet d’envergure: la création d’une filiale de Daech dans le Royaume, sous le nom de Wilayat al-Maghrib al-Aqsa. Une branche censée servir de base arrière pour des actions en Afrique du Nord et en Europe. Cette offensive stratégique de Daech s’inscrit dans une volonté de redéploiement régional.
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Hammouchi met en garde: malgré les revers subis, dont la neutralisation du numéro 2 de Daech, Abdallah Maki Mosleh Al-Rifa’i, ISIS et Al-Qaïda conservent un potentiel de nuisance intact, notamment dans les zones proches du Royaume, particulièrement visé. En mars 2025, Daech et Al-Qaïda ont diffusé des communiqués appelant à des représailles violentes contre des cibles occidentales et juives, y compris au Maroc, révèle Hammouchi. Ces appels font écho à une montée de la tension au Moyen-Orient, exploitée par les groupes jihadistes pour raviver leur base et inspirer des attaques individuelles.
Depuis fin 2022, les services marocains ont démantelé 40 cellules terroristes affiliées à Daech et identifié 132 extrémistes marocains partis vers la Somalie, le Sahel et d’autres zones de conflit.
L’Afrique comme nouvel épicentre du terrorisme mondial
À ce propos, le responsable sécuritaire marocain a souligné que les pays du Sahel représentent aujourd’hui le taux de mortalité terroriste le plus élevé au monde, avec 3.885 morts sur 7.555 enregistrés dans les trois dernières années, soit 51% du total mondial.
Les groupes GSIM (affilié à Al-Qaïda) et la branche de Daech au Sahel étendent leur influence. Dans la Corne de l’Afrique, Al-Shabaab et une branche de Daech basée au Puntland suivent un modèle d’expansion similaire à celui connu en Syrie et en Irak.
Dans les camps contrôlés par les Forces démocratiques syriennes, on compte entre 45.000 et 50.000 anciens membres de Daech et leurs familles, issus de 50 nationalités différentes, dont plus de 200 Marocains. Ces camps constituent une bombe à retardement sécuritaire, selon Hammouchi.
Terrorisme low-cost
Le monde entier est concerné par le phénomène et des régions comme l’Europe n’ont pas échappé à l’analyse de Hammouchi. La branche Khorasan de Daech, en Asie centrale, cible aujourd’hui les jeunes radicalisés d’origine nord-caucasienne ou d’Asie centrale vivant en Europe, en les incitant à commettre des attentats à faible coût logistique. Ces campagnes se structurent autour de plateformes communautaires, d’un financement par cryptomonnaies, et de la propagande diffusée sur des canaux comme «La Voix du Khorasan», indique-t-il.
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Le nouveau front de la lutte n’est désormais autre que la sphère numérique. Depuis 2016, les autorités marocaines ont identifié et neutralisé près de 600 cyberjihadistes. Ces plateformes ne se contentent plus de diffuser de la propagande: elles forment les recrues à la fabrication d’explosifs et à des attaques ciblées à distance.
Plaidoyer pour une nouvelle architecture sécuritaire
Face à cette dynamique inquiétante, Hammouchi a appelé à une refonte de la coopération sécuritaire internationale, qu’il souhaite plus équitable, rapide et interconnectée. «Dans un monde ouvert, il devient impératif d’assurer un échange efficace des renseignements», a-t-il martelé.
Il a réaffirmé la position du Maroc selon laquelle la lutte contre le terrorisme est une responsabilité partagée, et a rappelé que le Royaume avait été pionnier dans l’anticipation de la reconfiguration géographique du terrorisme, notamment l’installation progressive d’Al-Qaïda en Afrique.
Partant, Hammouchi insiste sur l’urgence de traiter la question des anciens combattants et de leurs familles, de renforcer les capacités de cybersécurité, et de développer une architecture sécuritaire inclusive pour endiguer les nouvelles formes de menaces, plus hybrides, plus transfrontalières et plus dévastatrices.