États-Unis: l’IA s’invite dans les tribunaux et transforme déjà la justice

Un tribunal de la Cour fédérale des États-Unis.

Des juges s’en servent pour leurs recherches, des avocats pour rédiger des recours, et des particuliers pour s’exprimer en audience. L’intelligence artificielle (IA) générative s’invite dans les tribunaux et pose déjà la question de son influence sur la justice.

Le 19/06/2025 à 07h31

Avant le prononcé de la peine de son meurtrier, début mai à Phoenix (Arizona), Chris Pelkey s’est adressé au juge Todd Lang, et à l’accusé, dans une vidéo.

«Je crois au pardon», a expliqué cet ancien combattant, abattu par balle en 2021 lors d’une altercation entre automobilistes, ou, plutôt, son avatar IA, créé par sa sœur, Stacey Wales.

«Je savais que ce serait puissant», explique-t-elle à l’AFP, «que ça humaniserait Chris aux yeux du juge».

«J’ai beaucoup aimé cette IA» de la victime, a immédiatement commenté le magistrat. «Je trouve que c’était authentique».

Ce témoignage IA concluait une audience lors de laquelle dix proches, dont Stacey Wales, s’étaient déjà exprimés, «et je pense que c’est pour cela qu’il a réagi si positivement», selon elle.

Si ce témoignage était une première, les exemples d’utilisation de l’IA dans des affaires judiciaires se multiplient aux États-Unis.

«C’est un outil utile, qui fait gagner du temps, dès lors que l’exactitude des résultats produits par une recherche IA est confirmée par l’avocat, le juge qui prépare un jugement ou un greffier», estime Stephen Schwartz, avocat à Portland (Maine). «C’est positif pour la justice».

Il utilise ChatGPT, mais surtout des interfaces spécialisées comme Protégé (LexisNexis) ou CoCounsel (Thomson Reuters) pour débroussailler la jurisprudence ou se documenter sur des aspects précis du droit.

«On ne peut pas s’y fier totalement», prévient l’avocat. «Il faut lire les dossiers pour s’assurer qu’ils disent bien ce que l’IA nous rapporte. On a tous en tête les histoires horrifiques d’IA qui mélange des affaires».

Les recours truffés de fausses citations, de précédents farfelus et de noms inventés, au fort parfum d’IA, ne sont plus une rareté.

Début mai, un juge fédéral de Los Angeles a infligé 31 100 dollars d’amende et de dommages à deux cabinets d’avocats pour une requête contenant neuf erreurs de jurisprudence en dix pages, qualifiant l’opération de «débâcle collective».

L’IA générative alimente aussi les recours d’individus choisissant de se passer d’avocat, avec là encore, régulièrement, des erreurs à la clé.

«Il devient de plus en plus facile» de rédiger et de déposer un document de justice, souligne Shay Cleary, du Centre national des tribunaux d’État. Dès lors, «il est possible que les tribunaux enregistrent une hausse» des actes et «doivent s’y préparer».

«Transformation»

Daniel Linna, professeur de droit à l’université Northwestern, voit dans l’IA la promesse d’un système plus efficace, qui améliore le fonctionnement de la justice.

«Environ 80% à 90% des gens n’ont pas accès aux tribunaux ou à des services juridiques», affirme-t-il. «Il faut être vigilant sur la manière de les intégrer, mais ces outils peuvent ouvrir la voie à une transformation».

«Je parle à beaucoup de magistrats et j’ai le sentiment que leur usage s’accroît», poursuit Daniel Linna. «Ils n’en parlent pas forcément, mais certains me disent qu’ils expérimentent», y compris comme soutien à la rédaction d’un jugement.

Plusieurs juges fédéraux de Washington sont allés plus loin, évoquant dans des décisions écrites leur utilisation de ChatGPT — même si celle-ci revenait, à chaque fois, à vérifier une opinion, et non à la formuler.

«Il faudrait dire clairement que les juges doivent être à jour technologiquement et se former à l’IA», plaide encore Daniel Linna.

Même sans imaginer que des juges s’en remettent un jour à l’intelligence artificielle pour trancher une affaire, l’IA peut déjà modifier l’orientation de certains dossiers, selon lui.

«C’est comme si un juge changeait d’assistant de justice», développe-t-il. «Est-ce que l’issue d’une affaire pourrait être différente? Oui, car vous changez les éléments qui entrent dans le système».

Ce nouvel assistant — tout comme une interface d’IA par rapport à un humain — «peut choisir d’autres textes de référence, formuler différemment, mettre en avant d’autres faits», toutes choses qui vont servir à un magistrat pour se déterminer.

Daniel Linna voit la possibilité d’une justice plus pointue, rendue par des magistrats mieux informés, ce qui diminuerait notamment les invalidations en appel.

«Il est clair que ça pourrait avoir un impact sur l’issue d’une affaire», abonde Stephen Schwartz, «et peut-être même avoir un effet favorable».

Par Le360 (avec AFP)
Le 19/06/2025 à 07h31