Conseil des droits de l’Homme de l’ONU: le régime d’Alger pointé du doigt par plusieurs ONG

Lors de la tenue d'une session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève, en Suisse.

La 58ème session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU (CDH), qui se poursuit jusqu’au 4 avril, a été l’occasion pour May Lawlor, rapporteuse spéciale de l’ONU, de présenter un rapport détaillé sur les restrictions imposées par le régime algérien aux défenseurs locaux des droits humains. Deux jours avant la présentation de ce rapport, plusieurs ONG ont exigé que des États membres du CDH prennent des mesures concrètes contre le régime algérien.

Le 10/03/2025 à 14h09

Entre le 25 novembre et le 5 décembre 2023, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, a effectué une mission d’évaluation en Algérie. Après avoir rencontré et écouté les témoignages de plusieurs activistes locaux, visité les prisons d’El Harrach (Alger) et Koléa (près de Tipaza) et discuté avec de hauts responsables algériens, dont les ministres de la Justice et des Affaires étrangères, elle a tenu une conférence presse dans la capitale algérienne et publié un communiqué en guise de compte-rendu de sa mission.

Dans son communiqué distribué aux médias algériens, elle estime qu’«il est regrettable de constater que les lois conçues pour lutter contre le terrorisme suscitent tant de terreur auprès des défenseurs des droits de l’Homme en Algérie, en raison d’une définition trop large et excessivement vague de ce qui relève du terrorisme dans le Code pénal». Elle fustige en particulier l’article 87 bis du Code pénal algérien, promulgué en 1995, ou plus exactement imposé par l’armée, en pleine guerre civile de la décennie noire, et plus que jamais en vigueur à l’heure actuelle.

À la suite des remarques de la rapporteuse onusienne, le régime d’Alger a promis de remettre les pendules à l’heure. Mais en avril 2024, feignant de modifier cette loi décriée, il l’a rendue encore plus répressive en étendant son application à de nouveaux «crimes». Ainsi, tout acte d’opposition au pouvoir en place (comme une simple publication sur les réseaux sociaux) tombe sous le coup des lois «antiterroristes», et les présumés contrevenants seront inscrits sur la «liste nationale des terroristes».

Réduction drastique de l’espace des libertés

Ce nouveau Code pénal a été également amendé dans le contexte de la préparation d’une élection présidentielle inexplicablement anticipée et massivement boudée par l’électorat algérien. La crainte d’un réveil du Hirak, pour contester ce scrutin, explique que l’amendement du Code pénal a largement versé dans le sens de la réduction drastique de l’espace des libertés.

C’est cet édifice répressif, renforcé au lieu d’être assoupli, qui a fait l’objet du rapport présenté par Mary Lawlor, le mercredi 5 mars, devant les délégations des États membres du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Elle y affirme que les défenseurs des droits humains en Algérie «continuent d’être arrêtés arbitrairement, harcelés par la justice, intimidés et criminalisés en raison de leurs activités pacifiques en vertu de dispositions pénales formulées en termes vagues, tels que “porter atteinte à la sécurité nationale”».

Elle a ainsi cité les cas de nombreux activistes qu’elle a rencontrés, dont des journalistes, des avocats, des syndicalistes, ou encore des membres du Collectif des familles de disparus. Ceux-ci continuent, selon elle, à être persécutés par l’appareil répressif de la junte au pouvoir (services secrets, justice…). La rapporteuse onusienne souligne que même les rassemblements pacifiques sont interdits et tombent sous le coup des lois antiterroristes.

Auparavant, Mary Lawlor avait à plusieurs reprises interpellé le régime algérien, l’exhortant à modifier l’article 87 bis du Code pénal. En vain. «Je réitère mon appel au gouvernement algérien pour qu’il modifie l’article 87 bis du Code pénal afin de garantir que la définition du terrorisme et des crimes connexes soit accessible, formulée avec précision, non discriminatoire et non rétroactive, conformément aux normes internationales», avait-elle écrit dans une publication sur le réseau social X.

Ce constat cinglant d’une experte onusienne indépendante n’a pas empêché le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, d’affirmer régulièrement dans ses discours que tous les droits des Algériens sont garantis par la Constitution. Or, l’article 87 bis du Code pénal est anticonstitutionnel puisqu’il ne sert qu’à punir tout acte légal d’opposition au régime.

À l’issue d’une visite d’évaluation en Algérie, en septembre 2023, Clément Nyaletsossi Voule, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, avait affirmé que le gouvernement «doit assouplir les restrictions strictes imposées aux rassemblements et aux associations afin de mettre les lois et les pratiques en conformité avec la Constitution nationale et le droit international relatif aux droits humains».

Le lundi 3 mars, à la veille de la présentation du rapport de Mary Lawlor au CDH de l’ONU, plusieurs associations et ONG des droits humains ont adressé une lettre ouverte collective aux pays membres du Conseil, leur demandant de prendre des mesures concrètes contre le régime d’Alger, pour ses graves violations des droits humains. «Les États présents à la 58ème session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont la responsabilité de dénoncer ces violations des droits humains», écrivent ces huit organisations dans leur lettre commune.

Ces rapports fustigeant le non-respect des droits de l’Homme par le pouvoir algérien mettent en exergue la nature historiquement répressive de ce pouvoir qui ne se maintient que grâce à l’application d’une politique de répression implacable, doublée d’un dévoiement des institutions de l’État au seul bénéfice de la nomenklatura militaire.

Comment en effet qualifier un pays où les deux chambres du Parlement adoptent sans débats un Code pénal liberticide et contraire à la Constitution? Cela sans parler de la Cour constitutionnelle, dont le rôle semble se limiter à la proclamation de résultats électoraux douteux face à la désaffection des urnes par plus de 90% des électeurs algériens. Dès lors, comment s’étonner que 240 détenus d’opinion croupissent dans les geôles algériennes.

Par Mohammed Ould Boah
Le 10/03/2025 à 14h09