La zone tampon ou «Mission area of operation», de la MINURSO, couvre 266.000 km² selon l’ONU (rapport «Internal audit division», 2021). On y apprend que Tindouf, en Algérie, en fait partie:
«La zone d’opérations de la Mission couvre 266.000 kilomètres carrés, incluant des zones à l’est et à l’ouest du mur de sable au Sahara occidental et Tindouf dans le sud de l’Algérie.»
Tindouf s’est officiellement invitée dans la zone tampon, un corridor de liaison, sacré et inviolable pour l’ONU, pour la circulation du ravitaillement des miliciens. Dans les faits, le corridor est utilisé par Alger pour acheminer les armes russes et iraniennes au Polisario. Une bourde de la MINURSO par trop idéaliste qui croit encore au Père-Noël. Celle-ci ne fait que rapporter les attaques terroristes du Polisario, sans se rendre à l’évidence que les armes ne tombent pas du ciel et sont acheminées depuis l’Algérie.
La preuve la plus flagrante se trouve dans les propres observations de la MINURSO: en novembre 2020, à savoir quelques jours après la rupture du cessez-le-feu, la mission relève le transfert «non contrôlé par l’armée algérienne à Tindouf d’au moins cinquante grands camions militaires» sahraouis quittant Rabouni en direction de la zone tampon de Bir Lahlou (rapporté dans une note du Parlement européen 2022). Ces armes ont fini dans des caches dans le désert, et peut-être y figuraient les missiles qui se sont abattus avant-hier encore, le 27 juin, sur la ville marocaine de Es-Semara, sans victime heureusement à déplorer.
La MINURSO assiste impuissante aux tirs depuis novembre 2020 du Polisario sur le Maroc depuis ce corridor de Tindouf convertissant la zone tampon en passoire.
266.000 km², c’est un peu plus que la moitié de la superficie de l’Espagne (Iles Baléares et Iles Canaries comprises), c’est à peine 20.000 km² de moins que la moitié de la France (sans DOM-TOM). À mille kilomètres près, c’est exactement la superficie de la Nouvelle-Zélande ou celle du Gabon. Les patrouilles humaines dont dispose la MINURSO pour surveiller ces immensités désertiques se limitent à quelque 500 individus (environ 50 personnes dans chacun des 9 team sites). Desquels il faut encore retrancher 25% du personnel qui sont des fonctionnaires administratifs ou des membres du corps médical non concernés par la surveillance; les moyens matériels résident en «l’analyse d’images satellites» depuis le quartier général de la mission situé à Laâyoune au Maroc, et à peine «deux avions et trois hélicoptères pour surveiller le cessez-le-feu, conformément à l’Accord militaire n° 1 et aux autres accords connexes», révèle le même rapport de l’ONU.

Autant dire que ce camembert enfanté par la MINURSO, et jamais remis en question par elle, servait les intérêts des parties belliqueuses qui ont proclamé la rupture unilatérale du cessez-le-feu.
Fermeture de la frontière mauritanienne de Brika: le tournant sécuritaire
Difficile à surveiller dans la zone tampon (drones marocains et avions onusiens compris), le Polisario profitait, jusqu’au 21 mai dernier, d’un point de passage en Mauritanie longtemps resté hors contrôle, juste au sud du mur de défense marocain (berm) lui permettant d’accéder en quelques minutes à la zone onusienne, à quelques dizaines de kilomètres seulement du Maroc. Déclaré ipso facto «zone interdite aux civils» par l’armée mauritanienne il y a cinq semaines, le poste-frontière de Brika jouait un rôle crucial dans l’échiquier du Sahara. La zone isolée à l’extrême nord-est de la Mauritanie était un point de passage névralgique entre l’Algérie et la Mauritanie.

Elle se trouve en effet à 50 km du camp humanitaire algérien appelé «Dakhla», bizarrement installé par Alger au nez et à la barbe de la Mauritanie, très près de ses frontières. Du fait de sa position, Brika avait acquis une réputation de «zone grise» (contrebande et produits des ONG humanitaires, drogues, cigarettes au noir, carburant subventionné) échappant aux contrôles de Nouakchott.
Mais surtout le seul lieu de transit, hormis le couloir de Tindouf, pour les membres du Polisario cherchant à contourner le dispositif marocain et à accéder à la zone tampon depuis le camp humanitaire de Dakhla.

Dix ans de tensions discrètes: Mauritanie, Polisario et le jeu trouble de Brika
Durant la dernière décennie, Nouakchott a dû composer avec la présence officieuse de combattants sahraouis sur son sol, notamment dans les confins désertiques du Tiris Zemmour où est localisé le poste de Brika transformé en sanctuaire terroriste. Dès 2013 des rapports de sécurité ont fait état d’infiltrations ponctuelles de membres du Polisario en territoire mauritanien pour des activités de contrebande ou de passage vers le Mali, rapporte la presse mauritanienne.
Toujours selon cette source, c’est en juillet 2017 que le ministre mauritanien de la Défense va délimiter une vaste «zone militaire interdite aux civils le long de la frontière algérienne». Un communiqué avertit alors que «tout intrus sera traité comme cible militaire» dans ce quadrilatère (défini par les localités de Cheggat, Brika, Ain Ben Tili, Dhar Tichitt et Lemreyya). À l’époque, Nouakchott proteste discrètement auprès d’Alger de ces incursions, tout en renforçant ses postes avancés. Malgré ces mises en garde, le relâchement s’installe à nouveau. Trois ans plus tard, en novembre 2020, le Polisario reprend de manière unilatérale la «guerre» avec le Maroc.

Et exactement deux mois après, survient en janvier 2021 la décision de l’armée mauritanienne de placer nommément «Brika», talon d’Achille de la région, en «zone de défense sensible». On monte d’un cran. Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El-Ghazaouani adopte un ton plus ferme quant au respect de la souveraineté de son pays. Le communiqué de Nouakchott parle de «contrer les menaces des groupes armés» et non plus de trafiquants. Le Conseil des ministres mauritanien du 6 janvier 2021 adopte un projet de loi fixant précisément les coordonnées de cette zone sensible. Dans la foulée, l’armée mauritanienne mène en mars 2021 des manœuvres militaires à Tiris Zemmour et inaugure de nouvelles infrastructures: base militaire à Lemreyya, radars de surveillance à Zouerate, centre de contrôle aérien à F’derick près de la frontière algérienne.
Dans le prolongement de cette fermeté, la Mauritanie prend une mesure décisive en novembre 2022: ses forces armées investissent le secteur de Brika. Le démantèlement du repaire de terroristes du Polisario marque un tournant: pour la première fois, Nouakchott agit frontalement contre des éléments du front sur son propre territoire. Ce succès relatif reste discret dans les médias officiels, mais début 2023, il produit déjà des effets notables.
En janvier 2023, alors que le Polisario prépare son 16ème Congrès (organisé sur le sol algérien à Rabouni et non plus à Tifariti, signe que le projet de l’État sahraoui et de la relocalisation a fait pschitt), une difficulté logistique inattendue survient: les invités mauritaniens du Polisario ne peuvent plus rejoindre Tindouf par voie terrestre. En effet, la frontière nord de la Mauritanie est strictement fermée et surveillée. Conséquence: le régime algérien doit affréter en urgence un avion pour convoyer par la voie des airs ces invités mauritaniens triés sur le volet. Air Algérie est mobilisée pour transporter gratuitement la délégation depuis Nouakchott jusqu’à Alger, puis vers Tindouf. Une tartuferie. Cet épisode cocasse révèle la nouvelle donne: les «convois spéciaux» du Polisario à travers la Mauritanie, c’est fini. La zone tampon n’est plus ouverte aux milices du Polisario, et le laxisme d’antan n’est plus toléré. En clair, la Mauritanie est en train de nettoyer les zones grises qui perduraient sur ses marges frontalières.
Ce durcissement s’est opéré graduellement, mais la date charnière est le 21 mai 2025 avec la fermeture totale de la zone de Brika, annonçant l’épilogue d’un long processus initié par Nouakchott. Mais nul n’est dupe: cette fermeté intervient dans un contexte où les incursions du Polisario via le territoire mauritanien se multipliaient depuis la reprise des hostilités.

En une décennie, on est ainsi passé d’une tolérance tacite de la Mauritanie envers certaines activités du Polisario sur son sol, à une intolérance affichée et assumée. D’autres indicateurs renforcent cette thèse: la découverte de caches d’armes (Grad, SAM-7…) sur le sol mauritanien montre que le Polisario préparait des coups de force meurtriers.
Fermeture de Brika: un séisme pour le Polisario
C’est un coup dur pour le Polisario. Sur le plan logistique d’abord, la fermeture prive le mouvement séparatiste de son principal couloir de transit vers le sud du Sahara. Concrètement, la capacité de projection du Polisario s’en trouve fortement réduite. Ses unités qui cherchent à opérer à l’est du berm se voient coupées de leurs bases arrière algériennes: pour se ravitailler ou se replier, elles doivent désormais effectuer un long détour par le territoire contrôlé par l’armée marocaine, ou rester en Algérie en violant les consignes d’Alger. Cette situation étouffe l’espace de manœuvre des miliciens.
Sur le plan économique et financier, la contrebande transfrontalière– véritable poumon financier officieux du Polisario– se retrouve entravée. L’un des axes majeurs de trafic reliant Tindouf aux marchés mauritaniens (et au-delà vers le Mali) est désormais bouclé par l’armée mauritanienne. Des unités motorisées patrouillent et barrent les pistes clandestines, appuyées par des drones qui surveillent du ciel tout convoi suspect, selon le think tank CRIDEM basé en France. Des témoignages font état de carburants subventionnés manquant dans le nord mauritanien, signes que l’approvisionnement illégal depuis les camps a cessé. De même, les flux de vivres détournés (comme la farine, l’huile ou le riz fournis par le PAM aux camps algériens) qui alimentaient les souks de Zouerate se sont taris. Moins de revenus parallèles signifient plus de dépendance du Polisario à l’aide internationale et à la rente algérienne. La fermeture de Brika revêt aussi une dimension psychologique pour le front, en quelque sorte la perte de l’unique sanctuaire. Pendant des décennies, les miliciens sahraouis ont considéré le nord de la Mauritanie comme un arrière-pays relativement sûr, où ils pouvaient circuler en uniforme ou en civil sans trop de risques d’être inquiétés. Cette époque est révolue: désormais, l’armée mauritanienne affiche une détermination sans faille pour faire respecter ses frontières face aux infiltrations du Polisario.
Et l’Algérie?
Selon le think tank espagnol Atalayar, Alger, parrain historique du Polisario, digère mal la mise au pas de son protégé. La fermeture par Nouakchott de la frontière nord-est avec l’Algérie sonne comme un acte de défiance implicite envers le pouvoir algérien. Le président Tebboune a bien tenté, par coups de fil insistants, d’arracher un recul mauritanien et d’envoyer le Polisario négocier en sous-main; rien n’y a fait. Face à la courtoisie inflexible de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, Alger s’est gardée de toute protestation officielle— signe qu’elle ne souhaite pas ouvrir un nouveau front— mais fulmine en coulisses. Toujours selon Atalayar, «le régime algérien et le Polisario menacent ouvertement la Mauritanie» depuis début juin, sans pour autant ébranler la détermination de Nouakchott.
La pression sur Tindouf s’est accentuée. L’Algérie devra intensifier son soutien logistique au Polisario, selon cet autre think tank spécialisé sur la région MENA. Elle a déjà procédé à l’augmentation de l’aide logistique «supposée» aux camps de Tindouf. Dès juin 2025, deux ponts aériens de livraisons humanitaires supplémentaires ont été mis en place vers Tindouf chaque mois, via des avions-cargo de l’armée de l’air algérienne.
Officiellement, c’est pour acheminer des vivres aux réfugiés, mais on peut penser qu’il s’agit aussi de fournir du matériel militaire et des pièces détachées que le Polisario n’obtient plus via la Mauritanie. Enfin, Alger a discrètement renforcé sa présence sur le terrain à la frontière: des détachements de garde-frontières algériens ont été signalés patrouillant plus fréquemment côté algérien près de Cheggat.
La zone tampon, une peau de chagrin
À force d’être grignotée par la réalité du terrain, la «Mission area of operation» de la MINURSO ressemble désormais au cuir maudit de Balzac: plus on lui réclame la paix, plus elle se ratatine. Ses 266.000 km² n’offrent plus la moindre échappatoire: au nord et à l’ouest, le mur marocain ferme toute percée; au sud, la Mauritanie a scellé Brika; à l’est, il ne subsiste qu’un mince ruban vers Tindouf, surveillé comme jamais. Ce no man’s land, pensé comme zone neutre, s’est métamorphosé en prison à ciel ouvert pour des miliciens soudain privés de leurs issues de secours.
Même l’Algérie, en dépit de ponts aériens improvisés, peine à compenser la perte de cette artère terrestre; chaque caisse de «vivres» lancée depuis Tindouf résonne comme l’aveu d’une dépendance accrue. Dans cet espace où l’ONU ne dispose que de quelques centaines d’observateurs et d’aéronefs clairsemés, l’effet ciseau est implacable: l’armée marocaine verrouille le front, la Mauritanie verrouille l’arrière, et la MINURSO, privée de leviers, constate l’asphyxie progressive d’une force qu’elle n’a jamais réellement maîtrisée. La zone tampon n’a plus rien d’un tampon; elle se contracte, rétrécit, se dérobe– peau de chagrin promise à disparaître, emportant avec elle les illusions d’une médiation qui croyait qu’un désert suffisait à séparer la guerre de la paix.