Alger blacklisté par les Européens?

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueDans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Bruxelles vient de proposer une mise à jour de sa «liste noire»: l’Union européenne veut y ajouter dix nouveaux pays tiers, dont l’Algérie.

Le 21/06/2025 à 10h00

L’UE rédige des listes noires? En toute légalité, puisqu’une directive anti-blanchiment, adoptée en 2015, délègue à la Commission européenne le soin d’identifier– et de mettre à jour régulièrement– les «pays tiers à haut risque» présentant des carences stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, susceptibles de représenter une menace pour le système financier de l’Union. Nulle sanction, économique ou diplomatique, pour les pays ciblés mais l’obligation pour les ‘‘entités assujetties’’ des États membres telles que le secteur financier, les agences immobilières et notaires, les professions réglementées et les négociants en biens de luxe, d’appliquer des mesures de diligence renforcées sur les transactions impliquant ces pays, notamment vérifier l’identité des clients et déclarer aux autorités locales les opérations suspectes. Dans une mise à jour du 10 juin 2025, la Commission européenne propose d’ajouter à cette liste dix nouveaux pays– Algérie, Monaco, Angola, Côte d’Ivoire, Kenya, Laos, Liban, Namibie, Népal et Venezuela– et d’en radier huit: Barbade, Gibraltar, Jamaïque, Panama, Philippines, Sénégal, Ouganda et Émirats arabes unis.

Ces propositions suivent les dernières évaluations du Groupe d’action financière (GAFI), un organisme mondial, basé à Paris, au sein duquel sont élaborés les principaux standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme. Dans une enceinte de 40 affiliés, dont la Commission européenne et 14 des 27 États de l’UE, les différents membres échangent leurs bonnes pratiques, comparent et évaluent les dispositifs nationaux, afin de s’assurer de leur bonne application et de renforcer leur efficacité. Par ailleurs, le GAFI identifie les pays qui présentent des vulnérabilités afin de protéger le système financier international, et publie trois fois par an, deux listes: l’une, noire, répertoriant les pays à haut risque; l’autre grise, recensant les pays présentant des «carences stratégiques» mais qui se sont publiquement engagés à exécuter un plan d’action pour les supprimer. Lors de sa dernière plénière, en février 2025, le GAFI a ajouté l’Algérie à sa liste grise– ainsi que Monaco, et les huit autres pays repris in extenso par l’exécutif européen dans son acte délégué du 10 juin.

Cela signifie-t-il qu’Alger sera blacklisté par les États européens en 2025? Réponse imminente. En effet, les États membres et le Parlement européen disposent d’un droit de veto sur la liste noire établie par la Commission européenne. Ils peuvent, chacun, la contester dans un délai maximum de deux mois. Et de fait, depuis la première liste, publiée en 2017, chaque mise à jour ouvre un débat politique au sein du triangle institutionnel– dès la première année, les eurodéputés avaient rejeté la liste noire, la jugeant trop restreinte– voire un jeu d’influence au sein du Conseil et du Parlement, avec des Européens parfois écartelés entre deux principes: la solidarité avec des pays tiers amis et l’intégrité du système financier européen.

«Les précautions oratoires de la Commissaire aux services financiers lors de la présentation de «sa liste» invitent à suivre avec attention les initiatives politiques des prochaines semaines»

En 2018, la Tunisie a été finalement ajoutée à la liste noire malgré le plaidoyer de députés jugeant «que l’ajout du pays d’Afrique du Nord n’est pas mérité, il s’agit d’une démocratie naissante qui a besoin de soutien et que la liste ne reconnaît pas les récentes mesures prises pour renforcer son système financier contre les activités criminelles». En 2019, c’est le Conseil qui a rejeté la liste proposée par la Commission– incluant l’Arabie Saoudite et Panama. Pour limiter les controverses, et le «marchandage diplomatique» dénoncé par les ONG, les institutions européennes ont convenu d’une nouvelle méthodologie d’identification des pays tiers, rendant le processus plus transparent et plus détaillé. Si l’identification de ces pays se fait toujours par la Commission, celle-ci consulte les experts des États membres. Et désormais, le Parlement européen et le Conseil ont également accès à toutes les informations pertinentes au cours des différentes phases de la procédure. La Commission fait aussi en sorte de mieux faire correspondre la nouvelle liste européenne aux listes publiées par le GAFI. Ce qui est exactement le cas dans la liste incluant Alger.

Le sort de la liste noire est-il pour autant scellé? «À la suite d’une évaluation technique approfondie et après avoir écouté attentivement les préoccupations exprimées au sujet de sa dernière proposition, la Commission a maintenant présenté une mise à jour de la liste de l’UE, qui réaffirme notre ferme engagement à nous aligner sur les normes internationales, en particulier celles fixées par le GAFI. Nous espérons que les colégislateurs adopteront rapidement cette mesure importante.» Les précautions oratoires de la Commissaire aux services financiers lors de la présentation de «sa liste» invitent à suivre avec attention les initiatives politiques des prochaines semaines.

Par Florence Kuntz
Le 21/06/2025 à 10h00