Un autre mégaprojet de câble électrique entre le Maroc et l’Europe dévoilé, sans implication d’opérateurs marocains

Des câbles électriques sous-marins à très haute tension. (Photo d'illustration)

Alors que Xlinks peine à voir se concrétiser son projet de câble reliant Guelmim à Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre, le groupe minier australien Fortescue annonce à son tour envisager un projet gigantesque de liaison électrique entre l’Europe et l’Afrique du Nord. À ces annonces tonitruantes liées à un domaine hautement stratégique, le mutisme des opérateurs marocains interpelle.

Le 08/05/2025 à 12h34

Dans un entretien accordé au journal anglais The Telegraph, Andrew Forrest, fondateur et patron du groupe minier australien Fortescue, affirme avoir eu des discussions avec Ed Miliband, secrétaire d’État britannique en charge de la sécurité énergétique, au sujet d’un projet de liaison électrique qui acheminerait vers le continent européen de l’énergie propre produite en Afrique du Nord, où Fortescue souhaite développer des fermes solaires d’une capacité allant jusqu’à 100 gigawatts (GW).

Des discussions sont également en cours avec divers gouvernements européens sur l’installation de plusieurs câbles sous-marins pour transporter l’électricité. Ces derniers pourraient, a-t-il dit, acheminer jusqu’à 500 térawattheures (TWh) d’électricité par an, soit près de l’équivalent de la consommation annuelle totale de l’Allemagne ou de la production de 17 centrales nucléaires «Hinkley Point C» fonctionnant 24 heures sur 24.

Le projet serait soutenu par un stockage par batterie et potentiellement par des centrales électriques alimentées à l’hydrogène, garantissant que l’interconnecteur proposé pourrait fournir un approvisionnement 24 heures sur 24, est-il précisé.

Le média londonien rappelle que la société minière a déjà signé l’année dernière un accord avec le fabricant belge de câbles offshore Jan de Nul pour étudier de potentielles installations de fabrication au Maroc.

«Il y a actuellement en Afrique du Nord une quantité d’énergie absolument incroyable qui est gaspillée chaque jour. C’est pourquoi nous élaborons une proposition visant à envoyer l’équivalent de 500 TW en Europe», ajoute The Telegraph, citant le magnat australien.

Andrew Forrest a fait valoir que son projet d’interconnexion peut contribuer à réduire les factures d’électricité des entreprises et des ménages européens, tout en améliorant la stabilité du réseau.

Le milliardaire a insisté sur le fait qu’il ne cherchait pas de subventions du gouvernement, mais souhaitait un accord qui engagerait le Royaume-Uni à acheter de l’électricité aux prix du marché sur une période donnée.

À titre de comparaison, le projet concurrent proposé par Xlinks, d’un montant de 25 milliards de livres sterling, vise à obtenir un contrat dit de différence (Contract for Difference - CFD) qui garantirait au projet un «prix d’exercice» fixe pour l’électricité qu’il fournira. Comme nous l’indiquions dans un précédent article, ledit contrat CFD garantirait à Xlinks un prix de revente respectif de 77 livres sterling et de 87 livres sterling par MW/heure pour l’énergie solaire et l’énergie éolienne produite, et ce pour une durée de 25 ans.

Le retard pris dans la finalisation du CFD s’explique par la formule choisie par Xlinks, qui a opté pour une négociation de gré à gré au lieu de passer par le canal des appels d’offres. L’instabilité gouvernementale au Royaume-Uni a aussi perturbé le processus de négociation. Début avril dernier, dans un entretien accordé au même Telegraph, Dave Lewis, président de Xlinks, a laissé entendre que si le retour du gouvernement était davantage retardé, alors que le projet est déjà déclaré d’importance nationale, les actionnaires pourraient décider de rediriger les ressources vers d’autres projets en cours de développement, ajoutant que celui d’une liaison entre le Maroc et l’Allemagne est une option parmi d’autres.

Le projet de Fortescue s’ajoute donc à une série d’autres annonces qui ont un dénominateur commun: émaner de grands groupes internationaux désireux d’exploiter l’énorme potentiel du Maroc en matière d’énergies renouvelables (solaire, éolien, hydrogène vert…).

Pour nombre d’observateurs, les investissements directs étrangers (IDE) de ce type soulèvent une vraie question de souveraineté des États sur leurs propres ressources naturelles. C’est un modèle d’exploitation de la ressource naturelle qui génère peu de richesses pour les pays sources. En l’absence d’un impact significatif sur le Royaume et les Marocains, ce modèle d’exploitation est considéré comme obsolète. Ce temps est révolu et il y a lieu de s’inspirer des négociations sur l’accord de pêche avec l’UE, le Maroc ayant réussi à freiner la surexploitation de ses ressources halieutiques, privilégiant des partenariats avec une valeur ajoutée plus claire. «Le Maroc souhaite des partenariats plus avancés, où la valeur ajoutée marocaine est plus forte», avait insisté à le rappeler le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, le 12 juillet 2023, en s’exprimant sur l’avenir de l’Accord de pêche Maroc-UE.

L’intégration industrielle locale et l’implication de capitaux maroco-marocains devraient constituer un préalable à tout feu vert de la part du gouvernement à ce genre de projets.

Avec des vents réguliers adaptés à la production d’électricité et un taux d’ensoleillement parmi les plus élevés au monde, le Maroc se positionne comme un acteur clé de la transition énergétique mondiale. Offrir cet or vert aux investisseurs internationaux, sans aucune contrepartie industrielle significative, constitue une dilapidation inacceptable des ressources naturelles du pays.

Plus inquiétant: à l’intérêt croissant des opérateurs internationaux pour les énergies propres au Maroc s’oppose un mutisme des hommes d’affaires marocains. Les grandes fortunes du pays gagneraient pourtant à s’intéresser à ce secteur aux potentialités considérables. Nouer des partenariats capitalistiques et s’associer avec les promoteurs de ces gigantesques projets est aussi une manière de faire du Royaume un acteur actif de l’exploitation de ses ressources… et non pas un puits de lumière à siphonner pour éclairer autrui.

Par Wadie El Mouden
Le 08/05/2025 à 12h34