Dans un entretien accordé à Challenge, Anas Al-Ansari, expert du secteur textile, livre une analyse sans détour de l’industrie marocaine.
Il met en avant les fondamentaux qui soutiennent la compétitivité du Royaume sur la scène internationale, tout en identifiant les leviers indispensables à activer pour réussir la transition vers un textile plus durable, innovant et régionalement ancré.
Selon Anas Al-Ansari, le Royaume du Maroc conserve des avantages structurels qui renforcent année après année sa place parmi les acteurs clés du textile mondial.
«La proximité géographique avec l’Europe constitue un atout logistique majeur, particulièrement adapté aux exigences du fast fashion et aux circuits de production réactifs», a-t-il souligné.
Une réactivité qui devient cruciale, pour des donneurs d’ordre européens de plus en plus exigeants.
Au-delà de l’atout géographique, le Maroc bénéficie d’un arsenal d’accords commerciaux avantageux, notamment avec l’Union européenne et les États-Unis, qui facilitent l’accès à des marchés stratégiques. «Ces accords de libre-échange offrent un accès préférentiel à plusieurs grands marchés, encore faut-il en maîtriser les règles pour en tirer pleinement parti», a insisté Al-Ansari.
Le pays s’appuie aussi sur une main-d’œuvre qualifiée et un écosystème industriel en constante structuration.
«Grâce à des institutions comme l’ESITH, le tissu industriel marocain s’enrichit de compétences techniques et managériales, et les filières intégrées dans le denim, le fast fashion ou les textiles techniques prennent de l’ampleur», a-t-il précisé.
Mais la compétitivité marocaine doit désormais se conjuguer avec des standards de durabilité toujours plus stricts.
«Les marques internationales exigent des produits conformes aux normes environnementales, tant sur l’empreinte carbone que sur l’usage de produits chimiques ou la traçabilité», a averti Al-Ansari.
Selon lui, des efforts restent à fournir, notamment sur la gestion des eaux usées, la circularité, ou l’approvisionnement en matières premières durables, encore peu accessibles et coûteuses.
«La majorité des entreprises restent concentrées sur la sous-traitance, avec peu d’investissements en R&D ou en digitalisation, ce qui limite leur capacité d’innovation», a-t-il explicité.
La dépendance aux importations pour la filature, le tissage ou la teinture pénalise aussi l’ensemble de la chaîne de valeur. «Il est urgent de développer la filière en amont pour renforcer l’autonomie et raccourcir les délais», a-t-il affirmé.
Dans ce contexte, le partenariat signé en mars 2025 entre le Royaume et le groupe chinois Sunrise constitue une avancée stratégique.
L’accord, qui prévoit un investissement de 2,3 milliards de dirhams pour la construction de deux unités industrielles à Fès et Skhirat, vise à réduire la dépendance aux importations et à créer une chaîne d’approvisionnement textile intégrée.
«Ce partenariat va générer 7.000 emplois directs et 1.500 indirects, tout en renforçant notre capacité à répondre rapidement aux demandes internationales», s’est réjoui Al-Ansari.
Il a toutefois appelé à la vigilance: «il faut garantir que les entreprises marocaines accèdent pleinement aux opportunités créées, tout en assurant le respect des normes environnementales et en formant une main-d’œuvre qualifiée».
Pour capitaliser sur les accords commerciaux en place, une approche plus structurée est requise. «Beaucoup d’entreprises n’exploitent pas ces accords, faute de maîtriser les règles d’origine. Il est essentiel de les accompagner par des formations et des dispositifs d’appui», a-t-il recommandé.
La montée en gamme est également une priorité: «il ne suffit plus de sous-traiter. Il faut investir dans le design, l’innovation et la qualité pour se démarquer», a-t-il averti.
Des actions collectives comme la participation à des salons professionnels ou la mutualisation logistique sont à encourager pour élargir l’accès aux marchés internationaux.
L’Association Marocaine des Industries du Textile et de l’Habillement (AMITH) joue un rôle clé dans cette transformation.
«Le programme Dayem est une initiative ambitieuse qui aide les entreprises à réduire leur empreinte écologique via des diagnostics environnementaux, des feuilles de route et un appui technique», a expliqué Al-Ansari.
L’AMITH promeut également le recyclage, l’éco-conception et soutient des projets collaboratifs avec des startups et centres de recherche.
«Nous développons aussi des modules de formation sur la durabilité, en partenariat avec des institutions comme l’ESITH, pour accélérer la transition verte du secteur», a-t-il détaillé.
Anas également Al-Ansari a insisté sur la nécessité d’étendre l’ancrage industriel au-delà des grands pôles historiques.
«Des régions comme Fès-Meknès, l’Oriental ou Beni Mellal-Khénifra offrent un potentiel de développement textile encore sous-exploité», a-t-il indiqué.