C’est un marché qui pèse plus de 12 milliards de dollars en valeur, dominé par des blocs régionaux aux besoins et aux contraintes très spécifiques. Et malgré cette géographie complexe, le Maroc a su tirer son épingle du jeu, notamment en Europe où il occupe une place de choix. Un succès qui repose sur une combinaison stratégique entre compétitivité-prix, maîtrise de la qualité, spécialisation géographique de la production et capacité d’adaptation aux nouvelles exigences sanitaires et environnementales des marchés importateurs.
Selon Ali Rougui, chef du département veille de Morocco Foodex, qui s’exprimait récemment lors de la Tomato Conference, les exportations marocaines de tomates continuent d’afficher une dynamique positive. Durant la campagne de 2024-2025, le Royaume a exporté 621.000 tonnes, à fin avril, contre 570.000 tonnes lors de la campagne précédente (2023-2024), soit une progression de 9% en glissement annuel. En comparaison avec la campagne 2022-2023, cette hausse atteint 2%, confirmant la solidité structurelle de la filière malgré un contexte mondial marqué par la volatilité des prix et la pression logistique.
Le Maroc, 3ème exportateur mondial
À l’échelle mondiale, le Maroc consolide sa position stratégique en se hissant au 3ème rang des exportateurs mondiaux de tomates, avec 11% de part de marché. Le pays affiche ainsi un taux de croissance annuel moyen de 11%, nettement supérieur à la moyenne mondiale, établie à 3%. Toutefois, de nouveaux entrants viennent redessiner partiellement la cartographie concurrentielle. Le Portugal enregistre un taux de croissance annuel moyen de 41%, signalant une montée en puissance rapide. Tout comme la Jordanie (14%), la France (8%) et l’Italie (6%) qui cherchent à repositionner leur offre sur des créneaux de qualité ou de proximité.
Ali Rougui a, par ailleurs, signalé que les importations mondiales de tomates s’élèvent à 7,7 millions de tonnes pour une valeur totale de 12,1 milliards de dollars, précisant que ce marché se structure autour de cinq grands pôles. On apprend alors que l’Union européenne élargie (UE 27 + Royaume-Uni) constitue le principal bloc, représentant 42% des volumes importés et 54% de la valeur globale. Le Maroc s’y positionne comme deuxième fournisseur, avec 24% de part de marché, et conserve également le deuxième rang sur le seul marché britannique.
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Dans les pays du Golfe, le Maroc se classe comme sixième fournisseur, avec une part de marché de 4%, un positionnement en progression, soutenu par une diplomatie commerciale proactive. En Afrique de l’Ouest, en revanche, le Maroc occupe une place stratégique en tant que deuxième fournisseur, fait savoir Ali Rougui.

Dans le détail, le marché de l’Union européenne, incluant le Royaume-Uni, demeure le principal débouché des exportations marocaines de tomates. Durant la campagne de 2024-2025, il a absorbé 577.000 tonnes, contre 535.000 tonnes en 2023-2024, soit une hausse de 8%.
Il est suivi par le marché de l’Afrique subsaharienne, avec 31.000 tonnes exportées, en progression de 23% par rapport aux 25.000 tonnes de la campagne précédente. Le marché des pays du Golfe affiche également une évolution positive, avec 3.000 tonnes exportées contre 2.000 tonnes un an plus tôt.
Marché | 2023-24 | 2024-25 | Variation |
---|---|---|---|
UE (y compris le Royaume-Uni) | 535 | 577 | +8% |
Afrique subsaharienne | 25 | 31 | +23% |
Pays du Golfe | 2 | 3 | +39% |
Autres marchés | 7 | 10 | +38% |
Total | 570 | 621 | +9% |
Sur le plan de la répartition régionale de la production, la région du Souss-Massa continue de jouer un rôle central dans la performance exportatrice du Royaume. Elle a généré, à elle seule, 609.000 tonnes de tomates exportées en 2024-2025, contre 558.000 tonnes l’année précédente, confirmant ainsi son poids stratégique dans la chaîne de valeur agricole.
Région | 2023-24 | 2024-25 | Variation |
---|---|---|---|
Souss-Massa | 558 | 609 | +9% |
Marrakech-Safi | 8 | 9 | +5% |
Casablanca-Settat | 1,8 | 2 | +9% |
L'Oriental | 1,1 | 0,8 | -22% |
Rabat-Salé-Kénitra | – | 0,6 | – |
Total | 570 | 621 | +9% |
S’agissant des segments de produits, la tomate de segmentation connaît une croissance marquée: 350.000 tonnes ont été exportées, contre 311.000 tonnes en 2023-2024. Concernant la tomate ronde, les exportations ont atteint 271.000 tonnes durant la campagne de 2024-2025.
Campagne | Volume total | Volume des tomates de segmentation | Pourcentage | Volume des tomates rondes | Pourcentage | Variation vs N-1 |
---|---|---|---|---|---|---|
2022-23 | 609 | 336 | 55% | 273 | 45% | – |
2023-24 | 570 | 311 | 55% | 259 | 45% | -6% |
2024-25 | 621 | 350 | 56% | 271 | 44% | +9% |
Comment se porte le marché à l’international
À l’échelle mondiale, le marché de la tomate affiche une trajectoire de croissance soutenue. En 2024, sa taille est estimée à 207,17 milliards de dollars, avec des projections qui annoncent une progression vers 261,41 milliards de dollars à l’horizon 2029. Cette dynamique est alimentée par la diversification des usages de la tomate dans l’industrie agroalimentaire, cosmétique ou encore pharmaceutique, ainsi que par les initiatives gouvernementales en faveur de la modernisation des systèmes de production et d’irrigation.
Sur le plan des tendances structurelles, plusieurs mutations redessinent la cartographie des échanges internationaux. Le Maroc émerge comme un acteur clé sur le marché européen, en particulier depuis le Brexit, où il s’est affirmé comme un fournisseur stratégique du Royaume-Uni. Sa montée en puissance s’inscrit dans une logique de proximité, de réactivité logistique et de montée en gamme, notamment sur les segments spécialisés, explique Ali Rougui.
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La Turquie poursuit également son expansion à l’export, tandis que le Mexique consolide sa position de premier fournisseur du marché nord-américain, malgré les tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis, notamment autour des droits de douane. L’Azerbaïdjan fait son apparition parmi les exportateurs significatifs, avec près de 130.000 tonnes expédiées en 2024.
Côté segments de consommation, la demande européenne connaît une mutation vers des produits à plus forte valeur ajoutée, comme la tomate cerise et autres variétés de segmentation. En Europe du Sud, des signaux de contraction apparaissent: la production espagnole enregistre une baisse de 21% en 2024 par rapport à sa moyenne quinquennale, tandis que les exportations espagnoles de tomates ont chuté de 35% sur la dernière décennie.
La France, à l’inverse, affiche une reprise avec une production atteignant 475.500 tonnes en 2024, en hausse de 5%, notamment grâce à des investissements dans les serres et les circuits courts. L’Italie fait face à des difficultés sanitaires liées à la propagation de virus affectant les cultures, tandis qu’aux Pays-Bas, les infrastructures de production sous serre continuent de se moderniser, renforçant la compétitivité du pays sur le segment haut de gamme. Enfin, les prix du marché au Royaume-Uni restent globalement favorables, soutenus par une demande constante et un besoin croissant d’importation post-Brexit, ajoute Ali Rougui.
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L’analyse du système de veille de Morocco Foodex met en lumière une série de défis majeurs auxquels la filière marocaine de la tomate est confrontée, tant au niveau de la production que du commerce. Sur le plan productif, la pression phytosanitaire s’intensifie, notamment avec la propagation du Tomato Brown Rugose Fruit Virus (ToBRFV), qui représente une menace sérieuse pour la qualité et les rendements. À cela s’ajoutent les effets du changement climatique, matérialisés par des épisodes de sécheresse, des précipitations excessives ou encore des vagues de chaleur, qui fragilisent la régularité des cycles agricoles.
Parallèlement, la filière doit composer avec une montée en puissance des exigences environnementales, notamment celles portées par le Green Deal européen, ainsi qu’avec une évolution de la demande sur les marchés européens, de plus en plus orientée vers les petites variétés comme la tomate cerise. Cette transformation de la demande s’inscrit dans un contexte de renchérissement généralisé des coûts de production, en particulier dans l’Union européenne. Sur le plan logistique, la réorganisation des alliances maritimes a complexifié l’accès aux marchés d’exportation, imposant de nouveaux défis en matière de coûts et de délais.
Sur le volet commercial, la concurrence s’intensifie, en particulier avec la Turquie, dont les exportations vers le marché européen progressent à un rythme soutenu. La baisse de la production en Europe continentale accroît la dépendance aux importations, tout en exacerbant la compétition entre pays fournisseurs. À cela s’ajoutent des incertitudes liées à l’évolution des accords de libre-échange, comme celui en négociation entre l’Union européenne et le Mercosur, les barrières tarifaires et les normes phytosanitaires renforcées, ainsi que les tensions géopolitiques, qui compliquent l’environnement opérationnel des exportateurs. La volatilité des prix internationaux, combinée à la pression réglementaire environnementale, renforce la complexité du contexte.
Les forces (et les faiblesses) du Maroc à l’export
L’étude comparative menée par Morocco Foodex met en exergue les positions concurrentielles des principaux pays producteurs. Le Maroc se distingue par un avantage en termes de coûts de production, une modernisation continue de ses infrastructures et un positionnement géographique stratégique, qui en font un fournisseur clé du marché de l’Union européenne. Toutefois, le Royaume reste exposé aux risques phytosanitaires comme le ToBRFV, et à la montée en puissance de nouveaux compétiteurs. La Turquie, en particulier, affiche une forte dynamique exportatrice vers l’Europe, soutenue par des coûts de production compétitifs et des investissements massifs dans son appareil agricole. Néanmoins, elle reste vulnérable à la pression croissante des normes sanitaires et environnementales, et dépend largement du marché européen.
L’Espagne, de son côté, bénéficie d’un savoir-faire avéré, d’infrastructures bien développées et d’un certain leadership en matière de recherche variétale, notamment sur les résistances au ToBRFV. Malgré cela, la filière espagnole est en repli, avec une baisse continue de sa production et de ses exportations. Les Pays-Bas conservent un avantage qualitatif grâce à une production sous serre hautement technologique, mais leur compétitivité est grevée par des coûts de production très élevés. L’Italie, forte de son expertise historique et de sa recherche variétale, reste présente sur les marchés internationaux, bien que confrontée à une recrudescence des menaces sanitaires. Enfin, le Mexique s’impose comme le leader du marché nord-américain, notamment grâce à sa proximité avec les États-Unis, même si sa présence reste marginale en Europe.
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Du côté de l’Union européenne, les perspectives de production s’inscrivent dans une tendance baissière. Les prévisions indiquent un recul de la production, qui passerait de 17 millions de tonnes en 2024 à 16,56 millions en 2028, soit un taux de croissance annuel moyen négatif de 1%. La superficie destinée à la culture de tomates fraîches devrait également décliner, passant de 86.615 hectares à 76.946 hectares sur la même période, ce qui représente une contraction annuelle moyenne de 3%. La production de tomates fraîches récoltées pour la consommation connaîtra également une baisse légère mais continue, évoluant autour de 6,4 à 6,5 millions de tonnes.
Pourquoi faut-il mettre l’accent sur le marché britannique
Cette contraction structurelle de l’offre européenne renforce la nécessité d’importations, notamment hors saison, ce qui crée des opportunités pour les autres pays, à condition qu’ils puissent répondre aux exigences croissantes en matière de qualité, durabilité et traçabilité. Dans cette dynamique, le marché britannique mérite une attention particulière. En 2024, le Royaume-Uni a importé 396.000 tonnes de tomates pour une valeur estimée à 800 millions de dollars, soit un prix moyen de 2 euros le kilo. Le Maroc s’y positionne comme deuxième fournisseur, avec une part de marché en valeur de 27,1%, derrière les Pays-Bas (38,6%) et devant l’Espagne (21,8%).
Les préférences des consommateurs britanniques influencent fortement la structuration de l’offre. En 2024, 70% des tomates vendues au Royaume-Uni étaient en vrac, contre 30% en grappes. Par ailleurs, 14% des tomates achetées étaient issues de l’agriculture biologique, et 23% relevaient du segment premium, ce qui traduit une montée en gamme constante et un intérêt croissant pour les produits différenciés.